La Déclaration de Foi adoptée par le synode national :
un réel effort qui n’a pas complètement abouti !
Après moult péripéties, voici que l’Eglise Protestante Unie de France s’est dotée d’une déclaration de foi : un accouchement non sans douleur puisque deux textes initiaux ont été étudiés, rejetés, puis remis à l’ouvrage, avant qu’une dernière proposition soit acceptée au synode national de Lille en mai 2017.
Les réactions des attestants ont été diverses, partagées entre ceux qui voient dans ce texte un compromis éventuellement acceptable et ceux qui rejettent cette déclaration parce qu’ils n’y retrouvent pas la foi issue des Ecritures. N’ayant pas la prétention de parler pour l’ensemble des attestants, je vous livre quelques réflexions personnelles.
Le premier point que je relève, concerne le statut de cette déclaration. Dès la première proposition faite aux Eglises locales, une ambiguïté a été insuffisamment levée : cette déclaration a-t-elle pour but principal, de clarifier la foi qui fonde l’unité de l’Eglise Protestante Unie dans un usage interne ou bien de témoigner de la foi de notre Eglise pour un usage externe. Il était d’autant plus nécessaire de préciser cette question que, d’une part l’Eglise Réformée vivait d’une Déclaration de Foi qui avait fondé son unité en 1938 et que d’autre part, l’Eglise Luthérienne ne voyait aucune nécessité à une telle Déclaration de Foi, s’en remettant depuis toujours aux textes fondateurs du luthéranisme.
Quant au présupposé de tenir en même temps les deux objectifs de l’unité de l’Eglise et du témoignage extérieur, il relève du voeu pieux. Tout un chacun sait que l’expression est toujours orientée en fonction du public auquel on s’adresse et de l’objectif que l’on poursuit en communicant.
Au fil des versions, il est devenu clair que la dimension de témoignage était privilégiée, tout en chercher à garder une forme classique. Je le regrette en partie, car j’ai vu au cours de mon ministère combien la Déclaration de Foi réformée de 1938 jouait un rôle important de référence dans l’Eglise. Mais c’est un choix possible et puisque cette direction a été prise, il est nécessaire d’en tenir compte pour l’évaluation.
Lorsque vous témoignez à quelqu’un, vous n’allez pas lui exposer l’ensemble des éléments de la foi chrétienne : vous courrez à l’essentiel et vous laissez de côté les éléments dont il vous semble qu’ils sont plus inaccessibles, de peur de perdre le fil de la communication avec votre interlocuteur. Il n’est alors plus question de dire l’ensemble des éléments constitutifs de la foi; en ce sens on peut comprendre que les affirmations concernant le retour du Christ, le jugement de Dieu, l’enracinement de la foi chrétienne dans l’appel d’Israël et d’autres encore, soient laissées dans l’ombre.
Par contre, si le destinataire oriente naturellement le discours, il est important qu’il ne le gauchisse pas car il s’agit bien de dire notre foi en Jésus-Christ dans toute sa pertinence. Nous ne devons pas abandonner les points saillants de la foi qui ouvrent justement le chemin de liberté et de vie apporté par Jésus-Christ.
C’est ici que se trouve ma principale critique du texte proposé. La redécouverte de la Réforme consiste à percevoir la profondeur du péché de l’homme à laquelle répond la puissance et la grandeur de la grâce de Dieu. Luther a fait l’expérience de cette affirmation de Paul, « tous ont péché et sont privés de la présence glorieuse de Dieu », « il n’y a pas un seul juste », « tous, juifs et grecs sont sous la puissance du péché ». La justification dont parle Paul est la délivrance de cet esclavage fondamental qui sépare l’homme naturel du Dieu de Jésus-Christ. « L’évangile est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit ».
Certes, la Déclaration de Foi reprend ce thème dans le 2ème paragraphe : « nous trahissons pourtant cette confiance (à laquelle Dieu nous appelle) », mais ce sont à peu près les seuls termes pour exprimer la profondeur de ce qui nous sépare de Dieu.
De même, il est intéressant de comparer le résumé de la bonne nouvelle. La Déclaration de 1938 citait le verset Jean 3/16 : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle ». Dans la nouvelle Déclaration, la proclamation centrale de l’Evangile devient : « Dieu accueille chaque être humain tel qu’il est, sans aucun mérite de sa part. » Ces deux formulations, révèlent l’infléchissement auquel est soumis l’Evangile. Bien sûr, la Déclaration va parler du Christ crucifié et ressuscité, elle va proclamer une vie plus forte que la mort, mais cela vient en second, dans les paragraphes qui suivent; le centre de l’Evangile relève d’un accueil inconditionnel des hommes sans mentionner la rupture fondamentale qui nous sépare de Dieu. Une manière d’ergoter ? Non ! ce point marque à mes yeux la principale fragilité de la Déclaration de Foi.
Car, de deux choses l’une :
soit le péché de l’homme est seulement un mauvais pas dont nous faisons rapidement mention pour être quitte à l’égard de la tradition mais presque en ayant honte de considérer que l’homme ne soit pas meilleur que cela;
soit la rupture du péché est à la mesure de ce que révèle le Nouveau Testament, (thème repris avec force par les réformateurs) et cette Déclaration de Foi ne permet pas à l’interlocuteur de saisir la profondeur et la grandeur de la grâce de Dieu à son égard, malgré l’accumulation des termes en ce sens !
Il n’est alors pas étonnant que soit aussi passée sous silence, la nécessité d’un changement de vie, et l’appel que Dieu nous adresse à changer d’orientation. Cet appel n’est pas une remise en cause de la souveraineté de la grâce, il en est le complément nécessaire, à moins de faire de la grâce de Dieu un automatisme universel devenant une pure abstraction. C’est justement parce que la grâce de Dieu nous transforme en profondeur et saisit toute notre vie, qu’elle s’accomplit lorsque nous reconnaissons notre faiblesse fondamentale en nous abandonnant à cette grâce. Pourquoi donc la Déclaration de Foi est-elle si frileuse sur les thèmes classiques du péché et de la repentance ? N’était-il pas possible de trouver une manière de rendre compte de ces points-là aussi avec des mots d’aujourd’hui ?
Je remarque aussi que la Déclaration de Foi se trouve prise dans une contradiction étrange entre un mal qui est reporté sur le monde comme une sorte de destin qui échappe à l’homme (nous voilà confronté à un monde marqué par le mal et le malheur) et un appel vigoureux à combattre les fléaux de toutes sortes. Le mal est moins personnel que du côté du monde et il nous revient de l’éradiquer avec d’autres. A une grâce qui surplombe tous les hommes sans qu’ils n’aient rien à entreprendre succède la charge étonnante de lutter contre tous les fléaux. Je constate ainsi que le fait de minimiser la rupture d’avec Dieu et l’importance de revenir à lui, conduit à faire porter à l’homme une responsabilité écrasante, qui est au-delà de ce que l’Evangile lui demande. Le Christ crucifié et ressuscité n’est plus au coeur de la victoire sur le mal. Il montre seulement l’amour de Dieu qui me réconcilie avec la confiance et me met en route pour combattre les maux de toutes sortes.
Ce n’est pas que je refuse l’implication dans les questions sociales et politiques. Mais je vois poindre le risque de proclamer une grâce, qui nous invite à une vision optimiste en portant nos regards sur l’amour de Dieu mais qui ne nous libère pas en profondeur des liens qui nous enchaînent et nous empêchent justement de marcher dans l’amour de Dieu. La responsabilité qui nous est dévolue devient alors soit un moteur supplétif, soit une charge impossible à porter. Cette grâce de Dieu, à laquelle nous sommes tous attachés, est finalement perdante et, avec cette grâce, les humains que nous sommes et qui en dépendent.
Je viens de vivre une expérience de pasteur missionnaire durant huit années. J’ai eu l’occasion de toucher du doigt la difficulté de dire l’évangile dans toute sa pertinence sans perdre le tranchant de l’épée de l’Esprit qu’est la Parole de Dieu. Je reconnais la nécessité de redire la substance de l’évangile avec d’autres mots que ceux du passé qui se sont usés et sont rejetés par un grand nombre. Mais je perçois aussi l’importance de ne pas perdre le sel de l’Evangile au risque d’offrir une parole qui plait mais qui n’apporte ni la liberté, ni la vie pour lesquelles Jésus a donné jusqu’à sa propre vie. Car c’est la Parole de Dieu qui libère l’homme en profondeur et non notre action.
Pour terminer, je voudrais seulement dire mon regret que notre Eglise ne se soit pas donnée une année de plus en faisant le pari de remettre en discussion cette Déclaration de foi dans les Eglises locales et les synodes régionaux. C’était prendre le risque d’un énième refus. Mais j’ai le sentiment que par ces allers et retours des textes, la Déclaration de Foi s’est constamment améliorée. Je pense qu’il en aurait été encore de même avec une année supplémentaire. Par surcroit, cet échange permet au plus grand nombre de s’y impliquer et de s’approprier le résultat final. Notre Eglise aurait eu tout à gagner de se donner encore un peu de temps !
Eric Perrier