Vers une déclaration de témoins

Ce texte a été publié par Alex Foote sur Facebook. 
Nous le reproduisons ici avec autorisation de l’auteur. 

Introduction

Les discussions pour une nouvelle déclaration de foi pour l’Eglise Protestante Unie de France débutent actuellement, et une version préliminaire du texte proposé est déjà disponible. Dans les différentes ressources proposées pour engager la discussion autour du texte, le thème d’“Eglise de Témoins” est omniprésent.

L’EPUdF n’est pas la seule institution à se lancer sur ce chemin. Le Conseil Œcuménique des Eglises, en 2013, a publié une déclaration de foi centrée sur la mission, “Ensemble vers la Vie”, qui peut être inspirante pour notre propre déclaration. Elle est publiée en France par les Editions Olivétan.

Cet article vise à commenter la proposition “de base” proposée, afin d’esquisser des pistes d’évolution du texte qui reflèteraient de plus près cette priorité pour notre Eglise.

Les thèmes de chaque paragraphe de la déclaration de foi “de base” sont :

  1. La Nature de Dieu ;
  2. La Bible ;
  3. Le Témoignage ;
  4. Les “Pratiques” de l’Eglise ;
  5. L’Œcuménisme / Autres Déclarations de Foi ;
  6. Divers.

Nous commenterons chaque paragraphe individuellement.

La Nature de Dieu

  1. En Jésus le Christ, Dieu se révèle comme Parole bouleversante et fondatrice. Il est pour nous source de liberté, sujet de joie. De son appel naît la foi, puissance de vie, qui donne à chacun une dignité nouvelle. Dieu rassemble dans une communion invisible toutes celles et tous ceux que son Esprit anime.

Traditionnellement les déclarations de foi commencent par notre compréhension de Dieu. Si nous voulons être une Eglise de Témoins, il faut déjà savoir de qui nous témoignons. Le paragraphe actuel, basé sur le prologue de l’Evangile de Jean, ne rend pas à l’évidence de lien entre la nature de Dieu et une Eglise de Témoins. Je voudrais ainsi proposer une approche basée dans le concept d’envoi, qui se trouve également dans le prologue de Jean, mais aussi tout au long de cet évangile :

  • “Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné (envoyé) son fils…” (Jean 3.16) ;
  • “Le Père enverra en mon nom l’Esprit Saint” (Jean 14.26) ;
  • “Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie.” (Jean 20.21).

Dans ces textes (comme dans d’autres dans l’évangile), c’est l’envoi qui définit les relations entre les parties. Dieu envoie son fils ; le Père envoie l’Esprit ; Jésus nous envoie. Si nous sommes témoins, envoyés dans le monde, c’est parce que cet envoi reflète la nature même de Dieu. Une déclaration de témoins pourrait profiter de cette relation pour décrire la nature de Dieu qui nous amène nous à être témoins.

Cette approche aurait aussi certains avantages par rapport au paragraphe de base :

  • En termes de structure logique du paragraphe. La structure du paragraphe de base proposé est basée sur le prologue de Jean, mais avec un ordonnancement inverse :
    • Prologue de Jean : Conceptuel (Logos, Parole) -> Spécifique (Incarnation, Jésus, demeurer parmi nous) -> Disciples.
    • Paragraphe de base : Spécifique (Jésus) -> Conceptuel (Parole) -> Nous.

Tandis que le prologue de Jean commence par le conceptuel pour aller vers le concret et la rencontre avec Jésus, le paragraphe actuel commence par le concret pour nous faire patauger dans le conceptuel. C’est contre-intuitif et je suis encore perdu quand j’essaie de mettre le doigt sur ce que ce paragraphe veut réellement affirmer.

Prenons le mot “Parole”. La signification du grec logos est constesté par les spécialistes. Les Témoins de Jéhovah sont d’accord que Jésus est la Parole (c’est à dire, un archange selon leur compréhension). Pour les Musulmans, Jésus est une Parole de Dieu. Le mot est simplement trop vague pour être employé sans précision et nous comprenons pourquoi le prologue de Jean cherche rapidement à le rendre concret.

Par contre, la séquence d’envoi Père -> Fils & Esprit -> Eglise est facile à appréhender et à décrire, même s’il faut faire attention à ne pas tomber dans le débat du Filioque.

  • En termes de relations entre les acteurs. Nous applaudissons l’effort des auteurs de ce paragraphe d’avoir cherché à éviter une enième reformulation trinitaire, et d’avoir tenté quelque chose de novateur. Cependant, les relations entre les acteurs sont totalement absentes, ce qui donne un Dieu indéfini, un Jésus-concept, et un Esprit également indéfini – un panthéiste, polythéiste, musulman, n’auraient sans doute aucun problème à affirmer ce paragraphe, et cela ne rassurera pas ceux qui pourraient y voir une perte des repères traditionnels. Une définition basée sur les relations d’envoi permettrait une formulation nouvelle, serait fidèle aux racines trinitaires de la foi protestante, tout en permettant de l’innovation et une évolution par rapport aux déclarations de foi traditionnelles.

Une approche basée sur l’envoi permettrait, dès le départ de cette déclaration de foi, d’annoncer à la fois d’où nous venons, et où nous aspirons aller, et poserait bien le cadre pour le reste de la Déclaration. Ne pourrions-nous pas imaginer un premier paragraphe qui résume cet aspect missionnaire de Dieu, et qui nous lancerait tout de suite dans la question de notre mission, notre raison d’exister ?

Bible

  1. Pour entendre cette Parole vivante, l’Église protestante unie de France écoute le témoignage décisif des Écritures. Elle y puise sa certitude que, sans mérite de notre part, Dieu nous réconcilie sans cesse avec lui dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus le Christ. Ainsi justifiés et libérés, nous sommes appelés à vivre de cette liberté auprès des autres.

Clairement, si nous avons un Dieu qui envoie, nous devrions retrouver ce thème d’envoi tout au long du récit biblique, et c’est bien le cas. Dieu a choisi Abraham pour être une bénédiction pour les nations, il a choisi Israël pour être son peuple, il a envoyé Jésus en tant que Messie d’Israël, il envoie son Eglise pour être ses témoins dans le monde.

En d’autres mots, le récit biblique nous invite à faire partie de son histoire, à nous inscrire dans une longue tradition d’un Dieu actif dans sa création, un récit qui nous pousse à agir, à protester, à prophétiser, à aimer, à quitter nos repères, à être des envoyés, des témoins. Quand nous lisons la Bible, nous intégrons une histoire dont nous faisons partie. La vie, la mort et la résurrection de Jésus en sont le point culminant, dignes d’une mention particulière.

Je propose, ainsi, une approche narrative aux Ecritures bibliques. Ce ne sont pas des textes simplement à respecter, à regarder d’une certaine distance, mais une histoire qui nous invite à nous plonger dedans.

Je vois, encore ici, plusieurs avantages de cette approche par rapport au texte proposé initialement :

  • Une approche fédératrice. La proposition de base cherche un consensus minimal : on “écoute” un “témoignage décisif”. Cela peut valoir pour un texte divin comme pour un témoignage intéressant à la radio. Tout le monde peut le signer, mais concrêtement cela n’engage en rien les personnes. Au contraire, une approche narrative invite chacun de se retrouver, positivement, autour du récit biblique tel qu’il est, et de s’inscrire, chacun à sa façon, au sein du narratif. Cela permet notamment aux pôles libéraux et évangéliques de se retrouver, en affirmant ensemble l’importance de vivre dans la continuité de cette histoire.
  • Une approche protestante. Dès ses premiers jours, le protestantisme cherche à se placer au sein de l’histoire biblique. Le débat sur la justification par la foi, par exemple, n’était pas simplement théorique, mais une question sur comment vivre aujourd’hui, vu le témoignage des écritures. L’approche narrative nous place directement dans l’histoire, et non en tant que lecteurs en-dehors, non-concernés.
  • Une approche en mouvement. Etre témoin implique un mouvement. Il y a un avant, il y a changement, et il y a un objectif ou destination. Actuellement, cette déclaration ne mentionne ni l’avant (le péché, la corruption de la nature), ni le changement (conversion, sanctification, …), ni la destination (la résurrection), et se place dans un présent éternel. Il faudra, bien sûr, trouver un langage accessible pour décrire ce mouvement mais, si nous voulons être témoins, nous ne pouvons nous passer d’évoquer ces sujets. L’approche que nous proposons permet de les inclure naturellement.
  • Une approche fidèle à la justification par la foi. Actuellement, le “nous” du paragraphe est problématique. Qui fait partie de ce “nous” ? Est-ce “les membres de l’EPUdF” ? Cela voudrait dire que, par le fait d’être membre de l’EPUdF, nous sommes libérés, justifiés etc. C’est la “justification par la carte de membre”, en quelque sorte. Je suppose que nous pourrions comprendre le “nous” par “tous ceux qui sont d’accord avec cette déclaration”, mais ce n’est guère mieux. Il serait plus adroit de mentionner le besoin d’une implication/choix/décision afin de circonscrire ce “nous” par la foi en Jésus comme Seigneur.
  • Une approche qui n’oublie pas la place d’Israël. Une curiosité de beaucoup des déclarations de foi du passé concerne la non-présence d’Israël. Sans doute à cause d’un anti-sémitisme implicite ou explicite, nous passons en silence le fait que les deux-tiers de la Bible concernent presque exclusivement Israël, et que Jésus était lui-même juif. Nous parlons (éventuellement…) de la déchéance de l’homme, nous parlons du salut du Christ mais… nous évitons la présence fâcheuse d’Israël dans l’histoire, et nous utilisons le titre de ”Christ”, plutôt que “Messie”, pour davantage éloigner tout concept juif. Tout simplement, il serait temps de rectifier nos péchés du passé.
  • Une approche plus concrète. Selon le paragraphe actuel nous sommes “libérés” (mais de quoi? – “une femme libérée” en français courante ne fait pas penser tout de suite au salut de Dieu…), “justifiés” (mot plutôt opaque de nos jours), on “écoute” les écritures (avec le seul résultat de vivre une sorte de “liberté” indéfinie auprès des autres – une petite relecture de Jacques 1.23 s’impose), le lien entre “réconcilie avec lui” et “vie, mort, résurrection de Jésus” est non-évident (sans doute en partie parce que nous parlons du médicament sans évoquer la maladie), et la compréhension de “Parole” hérite de la structure non-intuitive du premier paragraphe. Nous flottons encore dans le conceptuel.

Nous pouvons ainsi imaginer un paragraphe qui nous aide à nous placer dans ce récit afin d’improviser notre vie dans une certaine conformité avec lui, avec l’aide de l’Esprit, le témoignage de ceux qui viennent avant nous, le conseil de ceux qui nous entourent et qui s’inscrivent aussi dans cette même histoire, en vue de la Résurrection.

Témoignage

  1. Qui témoigne de l’Évangile participe à la réconciliation du monde, œuvre de la grâce divine. Il rend visible l’amour de Dieu envers chaque être humain et sa sollicitude envers la création tout entière.

Nous pouvons nous réjouir, évidemment, d’un paragraphe sur le témoignage et, au premier abord, il est assez complet. Même si “Réconciliation du monde” est, certes, un peu vague (s’agit-il de la réconciliation des hommes entre eux ?), le paragraphe évoque aussi cependant la relation de Dieu avec les humains, et de Dieu avec sa création.

Suggérons tout de même quelques pistes d’amélioration:

  • Colossiens 1.20 parle de Dieu qui réconcilie “toutes choses” à lui. Nous participons donc à cette réconciliation de “toutes choses” : les humains avec Dieu, les humains entre eux, les humains avec la création, chaque humain avec lui-même, et ainsi de suite, centré sur ces réconciliations avec Dieu. Le paragraphe actuel souffre d’avoir l’humain et non Dieu au centre, et d’omettre la réconciliation Dieu/humains, la relation humains/création, la réconciliation d’un individu avec lui-même, et l’action de Dieu concrètement dans ce monde.
  • Nous pourrions aussi insister sur l’Eglise en tant que communautés qui témoignent, et non seulement d’individus qui témoignent.
  • Nous pourrions aussi éviter le mot “sollicitude”…

Les “Pratiques” de l’Eglise

  1. Prédication et sacrements offrent au croyant une nourriture pour son chemin. Par eux la Parole de Dieu résonne dans notre vie, retentit dans le monde. Elle nous ébranle, nous relève, nous engage. Elle brise les chaînes de l’injustice.

Si nous voulons rentrer dans le dynamique d’Eglise de Témoins, nous ne pouvons nous contenter d’imaginer l’Eglise comme une institution qui fournit des prestations spirituelles, mais nous devons aller au-delà pour voir des communautés qui témoignent.

La prédication, la Cène et le baptème restent au cœur de notre vie communautaire, mais notre témoignage ne s’arrête pas à ces éléments du culte et, d’ailleurs, ne s’arrête pas au culte. L’accueil, la louange, la prière, l’action sociale, les repas partagés, ainsi que la prédication et les sacrements, font tous partie intégrante de la vie d’une communauté qui témoigne.

Nous avons ici une bonne opportunité de se rappeler que tous ces éléments sont importants dans la vie d’une paroisse et ne pas s’arrêter aux éléments qui, historiquement, ont été les plus soulignés.

Œcuménisme / Autres Déclarations de Foi

  1. L’Église protestante unie de France reconnaît pleinement la foi chrétienne dans les Symboles œcuméniques, les Livres symboliques et les Confessions de foi de la Réforme. Elle reçoit la pluralité des expressions de la foi, vécue dans l’unité, comme signe de l’humanité de Dieu.

A partir d’une approche de témoins, nous pourrions insister ici sur le fait que nous continuons à témoigner de quelque chose dont d’autres ont témoigné depuis des siècles, comme nous pouvons le voir dans les symbôles œcuméniques et de la Réforme. Cela serait une approche positive et valorisante, tout en menant naturellement à l’affirmation de la pluralité des témoignages que nous voyons dans les diverses approches écclésiales.

Une reformulation dans ce sens serait également l’opportunité de clarifier deux points du paragraphe actuel :

… reconnaît pleinement la foi chrétienne dans les Symboles…”. Est-ce que cela veut dire :

  • Je “reconnais pleinement” que je peux trouver “la foi chrétienne” quelque part dans les Symboles… ? Ce serait une approche minimaliste, qui n’affirme presque rien.
  • “Je reconnais trouver la foi chrétienne, dans sa plenitude, dans les Symboles… ?” Ce serait une approche maximaliste, qui affirme trop : les Symboles, ainsi que les autres documents mentionnés, n’ont jamais eu comme vocation de décrire, de manière exhaustive, la foi chrétienne.

“la pluralité des expressions de foi… signe de l’humanité de Dieu”. Le lien n’est pas intuitif et nous voyons plutôt cette pluralité comme étant signe de l’humanité de l’homme. Nous pouvons, éventuellement, comprendre où les auteurs veulent en venir mais notre approche permettrait d’aborder cette pluralité d’une manière plus naturelle.

Divers

  1. L’Église partage une vérité qu’elle ne possède pas, et qu’elle recherche avec passion. En Jésus le Christ, elle est ouverture au prochain et renvoie, bien au-delà de ses propres insuffisances, au don gratuit de Dieu, à la beauté de sa Parole : à la merveille de sa grâce.

C’est un homme cynique qui suggérerait que ce dernier paragraphe est le fruit d’une compilation aléatoire des mots “hourra !” du patois protestant, mais il faut tout au moins admettre qu’il n’est pas particulièrement parlant. J’aimerais proposer une adaptation missiologique mais, comme je ne comprends ni d’où ça vient, ni où ça part, ni même le chemin pris entre les deux, je me sens un peu Nicodème et ne saurais par où commencer.

Pour terminer cette déclaration de foi, une possibilité serait d’évoquer comment l’Eglise peut s’adapter aux changements sociologiques afin de mieux devenir une Eglise de Témoins. Nous avons depuis longtemps nos paroisses, nos cultes, nos œuvres et missions, nos aumôneries…, mais nous voyons désormais de plus en plus de nouvelles formes d’église. Dans une société déchristianisée, un temps de créativité s’offre à nous pour vivre aussi l’église hors-les-murs et hors-le-dimanche : les cultes pendant la semaine, les groupes de prière, la formation de laïques, des initiatives sur Internet, des groupes mères/enfants, des cafés-églises.

Il y a de quoi s’enthousiasmer. Une Eglise qui existe principalement pour ceux qui n’en font pas encore partie. Une Eglise qui, par sa vie, aide son entourage à comprendre l’amour de Dieu. Une Eglise de gens qui sont bénis par Dieu pour être des bénédictions dans le monde. Une Eglise composée de témoins qui se rassemblent pour être envoyés vivre leur foi dans des milliers de contextes tout autour de la France (et plus loin !). Une Eglise de Témoins.

Terminer une “déclaration de témoins” par un appel à la mission serait une excellente façon de faire de cette déclaration un tremplin vers une vie de témoins.

Alex Foote, Le Perreux