Je suis ce que l’on appelle un « paroissien de base », je ne suis ni pasteur ni diplômé en théologie et pourtant au nom du sacerdoce universel je suis appelé, comme nous tous, à exercer un ministère dans l’Église et à mettre les dons que le Seigneur m’a confié au service de l’annonce de son Évangile. J’essaie de servir, au mieux, là où le Seigneur m’a placé et d’y recevoir également les bénédictions qu’Il a en réserve pour moi.
Je souhaite vous livrer ici modestement et sans prétention quelques idées autour du sujet qui anime notre réflexion synodale sur la mission de l’Église et la place des ministères.
J’aime à la fois mon Église locale, avec les frères et sœurs qui m’ont été donnés, que je n’ai pas choisi et qui font route avec moi ; l’EPUdF héritière de la Réforme, qui m’a accueilli dans la communion des enfants de Dieu et l’Église universelle qui conserve et manifeste le message du Christ dans sa richesse et sa puissance au-delà du temps et de l’espace.
Je propose de traiter ce sujet en trois fois.
Je commencerai par apporter mon éclairage personnel sur certaines évolutions sociétales qui ont un impact sur nos vies d’Églises, puis de partager ma compréhension de la mission de l’Église, enfin d’explorer des pistes d’évolution qui me semblent pertinentes pour nous.
Entre sérénité et inquiétude.
Je m’interroge comme beaucoup de nous sur les enjeux liés à l’évolution de nos Églises avec comme corollaire celui des ministères qui s’y déploient. Église et ministères sont intimement liés: il n’existe pas d’Église sans ministères c’est assez évident et j’oserais presque dire pas de ministères sans Église, qui sous l’action du Saint Esprit les discerne, les forme, les envoie, les soutient, les reprend.
Je suis serein sur l’avenir de l’Église , comment ne pas l’être? Elle est l’épouse parfaite du Christ sur laquelle Il veille. Il maintiendra sa capacité à témoigner de Son Évangile dans un monde en changement rapide. Cette capacité a été largement démontrée d’ailleurs dans l’histoire du peuple de Dieu: depuis Abraham jusqu’à nos jours en passant par la Réforme et les différents réveils qui ont jalonné l’histoire de l’Eglise. Tout au long de cette histoire Dieu a ajusté le mode de communication de Son plan de salut pour l’humanité aux hommes et aux femmes qui devaient recevoir Son message et le mettre en pratique. Et il a accompli cet ajustement permanent, « Ecclesia reformata, semper reformanda », sans changer le fond du message transmis.
A côté de cette sérénité pour l’Église , comment ne pas partager un sentiment d’inquiétude et d’urgence pour beaucoup de paroisses locales et pour notre chère EPUdF, par exemple à la lecture de ce que le pasteur Nouis publiait sur son blog à Pentecôte ? (https://leblogdantoinenouis.fr/eglise/la-pentecote-une-exigence-de-lucidite-sur-leglise) : « Sur l’Église, celle que je connais le mieux est l’Épudf et elle est en grande souffrance. Quelques points : • Dans certaines Églises, il n’y a plus un seul enfant en catéchèse. • Dans l’Église de mon village qui est un regroupement de plusieurs paroisses, il y a plus de temples que parfois de monde au culte. • Parmi les quelques fidèles qui assistent au culte, 90% des participants sont des retraités. • Même au niveau sociologique, les luthéro-réformés sont deux fois moins nombreux que les évangéliques selon les dernières enquêtes. • Les autorités se félicitent que de nombreux pasteurs ne sont pas originaires de l’ÉPUdF, mais ça veut aussi dire que l’Église ne suscite pas de vocations pastorales en son sein. • Dans les facultés de théologie, il n’y a presque plus de théologiens qui ont une audience en dehors du tout petit milieu de l’Église. »
ou encore en constatant avec l’historien Protestant Sébastien Fath sur Twitter début Juin 2020 la situation d’une Église très proche de la nôtre en Suisse où l’on célèbre « Plus d’enterrements que de baptêmes chez les protestants du canton de Zurich »
Certes la fidélité d’une Église à sa mission et sa vitalité spirituelle ne peuvent se limiter au nombre de ses membres mais à contrario il n’est pas possible de faire l’impasse sur ce critère. Comment ne pas se demander de quel réveil a besoin l’EPUdF, héritière de l’Église réformée de France et de l’Église évangélique luthérienne de France, pour relever les défis de notre temps et toucher les hommes et femmes vers lesquels le Seigneur nous envoie.
Un monde en évolution Nous avons abandonné depuis longtemps le fantasme d’une Église conquérante et d’une société chrétienne, mais nous ne renonçons pas notre vocation d’être d’une Église fidèle, active, vivante… qui impacte les lieux où elle se trouve et témoigne de la pertinence et de la modernité de l’Évangile pour notre temps. Le défi à relever pour nous est à la fois d’adapter nos modes de communications et de fonctionnements pour être pleinement audibles et pertinents tout en retrouvant la radicalité révolutionnaire du message de l’Évangile: s’adapter dans la forme, se laisser convertir pas le Saint Esprit sur le fond. Les évolutions à prendre en compte sont nombreuses et protéiformes; je voudrais en proposer quelques unes:
L’accélération du temps. Nous vivons dans une société de l’instantanéité. Les messages de tous types s’accumulent et revendiquent de l’attention de notre part. L’émotion et la réaction prennent le pas sur la réflexion, nous avons de plus en plus de mal à nous concentrer plus de vingt minutes sur un sujet. Les phénomènes de modes de toutes natures s’imposent à nous et définissent les agendas privés et publics, y compris les agendas de nos Églises .
Le relativisme des convictions, la remise en cause de l’autorité et la méfiance vis-à-vis des corps intermédiaires. Nous sommes entrés dans une période où toutes les institutions quel que soit leur nature n’emportent plus d’adhésion monolithique. Dans les partis, les associations, les Églises … chacun fait son marché et se construit une opinion, parfois une conviction, personnelle. Plus de dogme imposé par un appareil et accepté sans réserve au nom d’un idéal commun ou de lendemains qui chantent. Cette tendance influence également le monde religieux où chaque individu, comme jamais dans l’histoire, se construit sa propre spiritualité par emprunt à des courants parfois contradictoires. On ne s’étonne plus par exemple de voir des Chrétiens à tendance Boudhiste ou une forme d’œcuménisme qui déborde des frontières Chrétiennes pour embrasser « tous les descendants d’Abraham » voire tous les croyants en Dieu ou en dieux. Dans un tel contexte, centré sur l’individu, toute autorité est suspecte puisqu’elle pourrait s’interposer au choix ou à la liberté de chacun. Elle ne revêt de légitimité que tant qu’elle conforte les choix déjà faits et les protège des influences supposées liberticides. Dans le domaine spirituel, l’autorité des Écritures ou des usages (pour ne pas oser dire dogmes) qui ont forgé l’Église est également remise en question. Il n’est pas rare de voir les textes réinterprétés sur la base d’une primauté donnée: à la raison, à la culture moderne, aux aspirations de la société, aux modes du moment voire tout simplement aux souhaits des individus. Nous n’hésitons plus à réformer les Écritures plutôt qu’à nous laisser bousculer par elles. Tel passage ne nous semble valable que dans le contexte historique de l’époque et n’a plus de raison d’être, tel autre n’a pas vraiment de valeur parce qu’il n’est pas placé dans la bouche de Jésus, tel autre a été écrit à des fins de politique interne des Églises naissantes et est donc suspect … Les Écritures ne s’imposent plus à nous, c’est notre interprétation personnelle souveraine qui s’impose à elles. Dans toute la société, les corps intermédiaires porteurs de l’autorité, même par délégation, sont également tous suspects. Suspects de tous les crimes: élitisme, népotisme, compromission, corruption, laxisme ou autoritarisme…
Des communautés de plus en plus mobiles, identitaires et fragmentées. Malgré les progrès des moyens de communication, les impératifs professionnels induisent une plus grande mobilité des personnes vers les zones d’emploi. Il n’est pas rare de partir faire ses études ou de trouver son premier emploi très loin du domicile de ses parents. Pour certains, les circonstances de la vie professionnelle ou privée conduisent à changer de région plusieurs fois dans leur vie. Des zones de peuplement se développent, d’autres déclinent. Rien de radicalement nouveau dans ces changements sinon l’amplitude et la rapidité des mouvements ainsi que le pourcentage de la population concernée.
La crise du COVID 19, après celle des « gilets jaunes », a permis de prendre conscience d’un monde qui malgré sa globalisation est en fait de plus en plus fragmenté par les distanciations de toutes sortes : physique, sociale, culturelle, politique, religieuse, théologique. Cette fragmentation pousse vers un entre soit identitaire, les communautés deviennent des tribus avec des frontières certes floues et mouvantes mais également très strictes. Peu de placer aux frontières on est dedans ou dehors, avec ou contre. Pas de place pour la nuance. L’anathème, l’exclusion, la chasse aux sorcières … ne sont jamais loin. Pour gérer cette situation les groupes hétérogènes essaient d’éviter l’éclatement en se fondant sur un tronc commun minimaliste et évitent d’aborder les sujets de désaccord. On reste dans l’essentiel et le politiquement correct tout en sacralisant le droit à la différence et la tolérance érigés en valeurs absolues.
Une société de marchandisation et d’exigence. Dans nos pays occidentaux, tout s’achète et tout se vend, la concurrence est féroce et le client est roi. Les systèmes de récompense sont partout, on use et on abuse du « like » ou du « dislike ». Par conséquence le religieux devient une denrée commerciale presque comme les autres. Ce n’est pas le retour des indulgences, mais puisque l’on participe à la vie financière de l’Église on se croit autorisé à avoir de l’exigence vis-à-vis du service rendu et on n’hésite pas à changer de « fournisseur » si le client n’est pas satisfait. En miroir de cette attitude, nous avons tendance à penser l’Église en terme de produit, de parts de marché et nos actions en terme de marketing.
La révolution numérique. La loi de Moore bien connue du grand public, qui postule le doublement de la puissance de calcul des ordinateurs tous les 2 ans, a confirmé sa pertinence correcte depuis 50 ans. Cela veut dire que nos ordinateurs actuels sont 1 million de fois plus puissants que ceux des années 1970. Une recherche sur Google consomme autant de puissance de calcul qu’en utilisait la NASA pour un vol de la mission APOLLO. Le même phénomène s’applique à la vitesse de transmission des données: la technologie 5G permet elle aussi de transmettre 1 million de données de plus par seconde que le GSM des années 90. Et le tout avec une réduction drastique des coûts qui ont fait du traitement et de la consommation des données une industrie grand public.
Comme les révolutions industrielles qui l’ont précédée, cette révolution numérique touche tous les aspects de la société. On ne travaille plus, n’achète plus, n’apprend plus, ne joue plus, ne part plus en vacances, ne communique plus avec ses proches… de la même façon. Cette révolution est majeure et comme toujours irréversible.
La crise du COVID agit comme un accélérateur pour répandre massivement cette révolution très largement dans la société Française. L’éducation nationale s’est adaptée à l’enseignement à distance, les grands parents se sont mis à organiser des réunions de familles Zoom, les entreprises les plus réfractaires au télétravail ouvrent des négociations sur ce sujet, on ne prend plus de RDV médicaux que sur DoctoLib, les Églises ont diffusé leurs cultes sur youtube… Rien de vraiment nouveau, mais une accélération massive de l’usage dans toutes les couches de la société.
Le retour à « la vie » normale, n’effacera pas les expériences et les habitudes désormais acquises. Il faut donc pour notre vie d’Église, comme pour le reste de la société, intégrer cette variable dans l’ensemble de nos projets. Repenser par exemple la répartition du temps et des activités entre les modes « présentiel » et « distanciel ». Redéfinir la nature même de ces activités pour prendre en compte leur modalités de « consommation ». Apprendre à nous servir de ces nouveaux outils, à la fois technologiquement mais surtout méthodologiquement.
Dans la prochaine partie de cette contribution, j’aborderais mes vues sur l’Église dans le cadre de ce débat synodal.
Que Dieu nous soit en aide.
René Lo Negro
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