À cette question, les protestants luthéro-réformés que nous sommes, répondront unanimement : « Pas nous ! Pas nous ! ». Bien sûr… Forts de notre histoire de minorité persécutée puis suspectée, nous nous considérons volontiers comme des citoyens exemplaires en matière de tolérance et d’accueil de l’étranger.
Pourtant, à l’heure où l’Église protestante unie de France prend conscience douloureusement de son déclin numérique et spirituel, certains propos et postures surprennent, révèlant pourtant ce qu’il faut bien appeler des « peurs irrationnelles ».
C’est ainsi que l’expression de « grand remplacement » aurait été reprise récemment à propos d’une paroisse dont la population serait en train de « s’africaniser ». De fait, cette communauté longtemps en perte de vitesse a vu le nombre de ses membres s’accroître ces dernières années grâce au travail d’un pasteur dynamique, lui-même d’origine africaine. Mais, serait-ce parce qu’il est noir que les gens sont venus ? Ou tout simplement parce qu’il a fait son travail et qu’il annonce l’Évangile de Jésus-Christ avec enthousiasme et conviction ?
Cet exemple n’est pas isolé. En région parisienne, et dans la plupart des grandes métropoles françaises, des temples qui comptaient davantage de bancs vides que pleins à la fin des années 90, se sont progressivement remplis grâce à l’arrivée de familles chrétiennes d’origine africaine et malgache. Ces familles étaient souvent issues des Églises réformées ou luthériennes de leur pays d’origine, et se sont naturellement dirigées vers l’EPUdF la plus proche. Quoi de plus normal et de plus réjouissant ?
Mais voilà qu’aujourd’hui des peurs se réveillent, sans pour autant oser s’exprimer haut et fort. Cette peur tapie tout au fond de nous, vieille comme Caïn, qui nous fait voir en l’autre un danger plutôt qu’un frère et nous fait croire que notre place est menacée. L’étranger tout seul ne nous fait pas peur quand il s’agit d’une personne que nous pouvons identifier, accueillir, soutenir, aimer. Mais quand l’étranger se conjugue au pluriel, cette altérité nous questionne, nous déstabilise et nous inquiète. Parce qu’elle nous rappelle douloureusement que nous ne sommes pas capables d’assumer vraiment la diversité, qu’elle soit culturelle, ethnique, liturgique ou théologique ; mais plus encore, parce qu’elle vient questionner notre identité, tout autant que notre manque de convictions, d’enthousiasme et d’audace.
Le grand remplacement dont il est question aujourd’hui dans l’Église protestante unie de France, celui qui fait trembler certains, ce n’est pas tant le « remplacement d’une population par une autre », que le « remplacement d’une expression de foi par une autre », plus affirmée, plus radicale ou, pour le dire autrement, plus évangélique. Quelle que soit la couleur qui la porte, cette autre manière d’exprimer la foi protestante a historiquement toujours été présente dans nos communautés luthéro-réformées. S’ils nous dérangent tant, est-ce parce que ces « évangéliques »-là sont plus nombreux aujourd’hui parmi nous ou parce qu’ils interrogent notre foi ? Qu’allons-nous perdre, qu’allons-nous gagner ?
Caroline Bretones, pasteur – décembre 2021
Commentaires
6 réponses à “Qui a peur du « grand remplacement » ?”
Chère Caroline, j’ai trouvé tes propos sur le « grand remplacement » stimulant et intéressant pour notre réflexion. Une expression toutefois me surprend, c’est quand tu parles du déclin numérique « et spirituel » de l’EPUdF. Numérique certes, mais « spirituel » m’interroge du point de vue de la manière de mesurer : Quels sont les outils qui permettent de mesurer qu’une Église est globalement en croissance ou en déclin spirituel. Le numérique est quantifiable, les finances aussi, mais la vie spirituelle l’est-elle vraiment aussi, et si oui, comment ? Veuille croire qu’il s’agit pour moi d’une vraie question, et je te remercie de m’éclairer si tu as quelques minutes. Bien fraternellement, Pierre-André
Bonjour Pierre-André, tu poses une bonne question et je pense qu’elle mériterait qu’on y réflechisse de manière approfondie 😉 À chaud, je pointerais deux éléments qui sont des indicateurs du déclin ou de la croissance de l’Église : le premier est la question de la transmission (est-ce que – dans nos communautés – on parvient ou non à assurer une bonne transmission de la foi chrétienne ?) et le second la question de la place de la prière (est-ce que la vie de prière occupe une place importante dans la vie de nos communautés – et pas seulement de manière personnelle/ individuelle ?). Et selon ses deux critères, il me semble que notre Église est, en bien des lieux, plutôt en déclin spirituel.
C’est la peur de ce pharaon qui n’avait pas connu Joseph et qui voyait dans les Hébreux une menace (Exode 1). Cela l’a conduit à la violence que l’on sait.- Hérode aussi a craint d’être supplanté par un nouveau-né (Matthieu 2). Ici aussi cela le poussera au meurtre. La peur du « grand remplacement » est donc é prendre très au sérieux car elle conduit non pas à sauver sa vie mais à perdre celle du prochain.
Merci pour cet article courageux. Ça montre bien que l’étranger minoritaire est valorisant pour l’autochtone, alors que l’étranger nombreux l’effraie.
Là où nous avons quelque chose de précieux à montrer au monde, c’est que les chrétiens étrangers réveillent souvent nos valeurs évangéliques là où d’autres, dans la société globale, veulent plus ou moins ouvertement subvertir la République. La question est donc celle du respect réciproque entre ceux qui arrivent et ceux qui sont là…
Merci
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix », quant à la quête de tranquillité il me semble qu’elle est source de trébuchement
Merci pour cette réflexion courageuse et pertinente sur les peurs profondes de cette « pauvrette » union d’Eglises assise sur le confort de ses traditions et la sécurité de son entre-soi.
Et si certains veulent encore croire que l’EPUdF se porte bien sur un plan spirituel et qu’elle offre encore à nos contemporains ce pourquoi tant de chrétiens persécutés ont donné leur vie et continuent à mourir dans de nombreux pays, laissons-les se bercer dans leurs illusions, et continuons le bon combat avec toutes celles et ceux qui en mesurent l’urgence.
« Tenez-vous prêts, vous aussi, car le Fils de l »homme viendra à l’heure que vous ne pensez pas. » (Luc 12 v.40)