De la Trinité sainte à l’inspiration des Ecritures

Le souffle de l’Esprit, vie et force pour le monde

par le pasteur Patrick Aublet, EPUdF Clermont-Ferrand

Curiosité du titre. On pourrait penser que je raisonne à l’envers, surtout dans une perspective protestante de l’Ecriture et de la réflexion théologique. Ne devrais-je pas partir de l’Ecriture pour y chercher la Trinité, si tant est qu’on puisse l’y trouver.
Permettez-moi de partir aujourd’hui du postulat inverse. Notre Eglise protestante unie est en train d’élaborer depuis son union entre réformés et luthériens une déclaration de foi. Serai-t- elle trinitaire ou non ? Les enjeux sont là. Malgré ma fatigue d’entendre dans bien des milieux protestants que la doctrine de la Trinité est très contestable, incompréhensible, dangereuse, pierre d’achoppement dans le dialogue avec les autres monothéismes, j’ai posé le postulat que la Sainte Trinité préexiste à l’Ecriture, préexiste à nos réflexions et postures théologiques, et que, loin d’être réduite à un dogme et enfermée dedans, elle est le dévoilement inattendu, surprenant, de la présence de Dieu au milieu des hommes. Ce postulat n’a rien de très excessif, car la Sainte Trinité est antérieure aux meilleures théologies et même à la sainte Bible. Du coup, ce cheminement personnel fait un rebond en moi : en cet anniversaire des 500 ans de la Réforme, il est légitime de se poser la question du rapport de l’Esprit avec les Ecritures. Et du coup celle de la relation entre l’Esprit, l’Ecriture et le croyant

1. Une intuition récurrente

Croire en un Dieu unique, et aussi relations en lui-même au point d’être trois, c’est tout de même un étrange mystère. Et ce d’autant plus que le mot n’apparaît pas dans le vocabulaire biblique. Augustin d’Hippone, auteur d’un difficile Traité sur la Trinité, écrit ceci :

Que celui qui lit ces lignes fasse route avec moi, s’il partage ma certitude. Qu’il cherche avec moi, s’il se trouve dans les mêmes doutes ;
Qu’il revienne à moi s’il reconnaît être dans l’erreur ;
Et qu’il me rappelle à l’ordre, si c’est moi qui me trompe.
(Saint Augustin, Traité sur la Trinité, Prologue)

Petit enquête biblique sur le dévoilement trinitaire :
Tout commence à la première page de la Bible. Gn 1, 1-3 nous place devant une bizarrerie grammaticale : Elohim (pluriel) est sujet d’un verbe (bara) au singulier. Puis le rédacteur mentionne queL’Esprit plane. Puis, que Dieu crée par sa Parole. Or, Jean 1,1 nous apprendra que la Parole, c’est le Christ ! Dieu s’exprime dans une pluralité, à la 1ère page du Livre. Avec l’Esprit et la Parole, le Premier Testament nous suggère d’autres façons de dire la présence de Dieu :
– la Sagesse (hokhma) (Pr 8, 1-6) qui appelle les hommes à écouter ce qu’elle a à leur dire
– la Gloire (shekhinah) (Ez 1 et 11).
On évoque ainsi un Dieu qui se manifeste sous différentes formes, un seul Dieu, mais des manières différentes de se manifester.
Le nom de Dieu ne peut se dire, ce qui revient à affirmer que le nom révélé à Moïse est au- delà du langage, Dieu ne se laisse pas enfermer dans des descriptions humaines, dans des concepts rationnels. Il est au-delà de ce que nous pouvons en dire.
On ne connaît Dieu que dans sa manière de nous rejoindre et de nous accompagner, et non dans son essence.

En Genèse 18, Abraham reçoit la visite du Seigneur sous la forme de trois mystérieux personnages. Le texte de la Bible alterne singulier et pluriel, entre les hommes et le Seigneur, au point que l’hospitalité d’Abraham devient, pour les chrétiens, le symbole par excellence et la préfiguration de la Trinité.

Les évangiles eux aussi connaissent les trois termes : le Père, le Fils et l’Esprit, pour désigner Dieu. Les textes les plus clairs à cet égard sont ceux de l’annonciation, du baptême de Jésus et, à la fin de l’évangile selon Matthieu, de l’envoi en mission.
C’est l’évangile de Jean qui pose le plus clairement la question trinitaire :

– Le Prologue (Jn 1, 1-14) dans l’articulation entre la Parole et Dieu.
– le baptême (ainsi que les synoptiques). Mais chez Jean, il nous est dit que c’est à partir de là que Jésus commence à manifester la gloire du Père.
– les discours d’adieux (Jn 13, 31- 16, 33) : Je suis dans le Père, et le Père est en moi (Jean 14, 11) ; Le Consolateur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, c’est lui qui vous enseignera toutes choses (Jean 14, 26).
– le très étonnant : Avant qu’Abraham fut, je suis (Jean 8, 58).
– sans oublier les 7 Je SUIS : le Pain ; la Lumière ; le bon Berger ; la Porte ; la Résurrection et la Vie ; le Chemin, la Vérité, la Vie ; le Cep.
On pressent souvent qu’en Jésus se tient une autre réalité, pressentie dans les Evangiles, difficile à conceptualiser. Les paroles de l’Annonciation en sont un exemple, mais nous pourrions tout aussi bien prendre le récit de la Transfiguration, celui de la tempête apaisée, la résurrection de Lazare, et découvrir que s’arrêter au Jésus thaumaturge, guérisseur, c’est ne pas voir qu’en l’homme de Nazareth se cache et se dévoile tout en même temps une réalité divine. « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14, 9) ne doit pas être réduit aux seuls signes ou prodiges opérés par l’homme de Nazareth mais comme une manifestation d’un Dieu qui remet l’homme en marche dans la vie, qui a autorité sur la création.
Ainsi Jésus est vraiment Fils de Dieu et il envoie aux apôtres un Défenseur (Paraclet), l’Esprit, qui leur met, au cœur et sur les lèvres, les paroles de vérité et de vie.

Un basculement s’opère entre le temps du Fils avec les hommes et le temps de l’Esprit, c’est la Croix : il remit l’Esprit (19, 30), puis au chapitre suivant : Il souffla sur eux. Le don de l’Esprit s’inscrit dans le don du Fils à la Croix et dans sa victoire sur la mort.
Les lettres de Paul sont aussi parsemées de petits cailloux trinitaires, jusque dans des formules de bénédiction (2 Co 13, 13). On peut relire Gal 4, 6-7 ou Rm 8, 15-17. Paul qui n’a pas connu Jésus est le témoignage vivant de ce que Jean annonce : l’Esprit nous associe à Jésus et nous fait devenir enfants de Dieu.

Paul appelle indifféremment Esprit de Dieu (Rm 8, 9 ; 1 Co 2, 11.14) ou Esprit du Fils ou de Jésus-Christ (Ga 4, 6 ; Ph 1, 19).
Les premiers chrétiens n’ont évidemment pas chercher à se démarquer du monothéisme juif. C’est plutôt une manière pour eux de rendre compte de la vie de Dieu qui leur apparaît tout entière concentrée dans ce don mutuel du Père au Fils, et du Fils au Père, dans l’unité du Saint-Esprit. Cette communion du Père, du Fils et du Saint-Esprit, s’aimant d’un amour intense, total, n’est pas, pour les chrétiens, un supplément facultatif venant compliquer la foi au Dieu unique. La Trinité nous propose une belle manière de comprendre ce qu’est l’amour : amour inconditionnel qui tend vers l’unité comme tout amour, dans une distance respectueuse de chacun. Il génère ce paradoxe inouï qu’est une unité plurielle.

La Trinité, dans son unité plurielle, vient visiter et guérir mes propres fractures, là où je suis disloqué, non unifié. Elle est le miroir de ce que Dieu a dans son cœur pour chaque humain et pour tous les hommes.

 

2. Divinité une et trine

Il faudra plus de trois siècles pour que le mot Trinité apparaisse, sous la plume d’Athanase d’Alexandrie. Le terme, formé à partir du grec « trias », décrit cette réalité étonnante d’une divinité une et trine proposée à la foi des chrétiens. S’agirait-il d’une invention tardive, quelque peu éloignée du message originel de Jésus ?

La formulation du dogme trinitaire répond à au moins 5 impératifs :
– soutenir, contre la critique du monothéisme d’Israël, le fait que les chrétiens restent inscrits dans un monothéisme strict.
– soutenir, contre la critique de la philosophie antique qui trouve absurde qu’un dieu puisse s’incarner pour devenir serviteur, qui souligne l’unité et la transcendance parfaite de Dieu, le fait que ce Dieu qui s’incarne ne perd rien de ses attributs divins.
– soutenir, contre le docétisme, que le Fils s’est réellement incarné.
– soutenir, contre l’arianisme, que Jésus n’est pas qu’une simple créature.
– faire émerger au niveau de la catéchèse une intuition qui traverse l’Ecriture.
Pour parler simplement, les conciles affirment :
– que Dieu est un et trine à la fois
– que Dieu est un dans son essence
– que Dieu est trine dans ses personnes.
Entre le Père, le Fils et l’Esprit, il y a union sans confusion, distinction sans séparation. Dans l’unité et la distinction, les trois Personnes sont l’unique vrai Dieu.
Ceci appelle plusieurs remarques :
– Les conciles ont choisi la formulation la plus difficile, la moins acceptable à la raison. La théorie d’Arius (Jésus est un homme exceptionnel, mais un homme) était à la fois plus acceptable et plus en phase avec la philosophie ambiante.
– La formule trinitaire présente une définition non logique de Dieu mais rappelle que Dieu échappe à nos catégories de pensée. Dieu est au-delà de nos définitions.
– Le dogme ne dit pas logiquement la nature de Dieu, mais il affirme précisément ce que Dieu n’est pas : le Père n’est pas un Créateur grand Horloger qui se désintéresse du monde. Le Fils n’est pas un homme très religieux, ou un Dieu qui fait semblant de devenir un homme. L’Esprit ne se confond pas avec l’esprit religieux des hommes.
– la Trinité, c’est un amour circulant, qui par grâce, fait une place à la création, à l’homme, alors que Dieu n’a pas besoin de la création pour exister. La création, l’incarnation, le don de l’Esprit ne sont pas une nécessité pour Dieu : nous les recevons comme une expression de son amour, dont la gratuité préserve aussi notre liberté.
– il y a continuité de l’action, de la présence de Dieu. Nous sommes inscrits dans une histoire marquée par la grâce du début à la fin.

Du dogme, l’Eglise a très vite exprimée cette révélation dans la liturgie. Le baptême est donné, selon Matthieu, « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? ». Chrétiens orthodoxes, catholiques, anglicans, ne commencent-ils pas leurs prières par un signe de croix qui est fait
« au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » ?
La liturgie de la cène/eucharistie est composée de textes de prières qui proclament un mouvement interne à Dieu. Il est don : dans la Création (les éléments matériels, mais aussi les membres assemblés), par l’Incarnation (ceci est mon corps) et dans l’action permanente et renouvelée de l’Esprit (prière d’épiclèse sur les éléments et sur les fidèles). Il est amour, et l’amour est tout sauf immobile. Il est vie, et il n’existe pas de vie sans que cette vie soit transmise, engendrée. Chaque personne de la Trinité réoriente le regard vers l’une des deux autres. Le croyant est alors en quelque sorte intégré à ce mouvement de vie et d’amour. Ce mouvement perpétuel d’une personne à l’autre de la Trinité montre aussi la divinité du Fils et celle de l’Esprit, ainsi que leur unité au Père. Je ne citerai pas un protestant, mais un orthodoxe cévenol, Olivier Clément, qui parlait d’une danse.

En confessant le Père, le Fils et l’Esprit saint comme un et trois, les chrétiens confessent un Dieu qui n’est ni l’Idée platonicienne, ni le Destin, ni la Nature, ni l’Esprit du grand Tout. Mais Un Dieu en trois Personnes, un Dieu qui vit, qui aime, qui se communique et parle et agit6.

Un courant très fort dans le protestantisme est le courant unitarien. Ce courant qui met en cause les conciles de Nicée (325), Constantinople (381) et Chalcédoine (451) est ancien, dès ces conciles : c’est l’arianisme, comme nous l’avons déjà évoqué. Mais il a des résurgences en Europe de l’est au 16ème s. puis passe en Angleterre et aux US. Il a des partisans célèbres (Newton, Albert Schweitzer).
La difficulté, c’est que, sans la Trinité, Dieu est Esprit, Jésus est un homme providentiel, que nous pouvons imiter (alors qu’il est le visage même de Dieu), l’esprit est une étincelle divine dans le cœur de l’homme, essentiellement visible dans une obéissance éthique. L’incarnation n’existe pas, et la transformation intérieure par l’Esprit non plus.

3. L’Esprit rend témoignage à notre esprit (Rm 8, 16). L’Esprit et l’épouse disent : Viens ! (Ap 22, 17).

Au-delà de la conception limitée à l’éthique des unitariens, la dimension trinitaire de l’Esprit le place à côté du Père et du Fils, mais tourné vers l’homme. Ces deux v. le disent à leur manière, et vous vous rendez compte ainsi que nous sommes encore dans une approche trinitaire. Aux Romains, Paul rappelle que l’Esprit rappelle à notre esprit (cette part intérieure de nous mêmes que Dieu a créée qui nous permet d’entrer en relation avec nous, qui nous donne pleine conscience de notre péché devant Dieu et de notre soif de repentir) que nous sommes fils, filles du Père. L’autre citation place l’Esprit complètement du côté de l’Eglise pour prier avec elle que vienne le règne du Fils !

Dans les confessions de foi, la partie sur l’Esprit conduit à parler de l’homme. Ce Souffle qui a donné vie au premier homme vient aussi souffler et donner vie à la nouvelle création dont l’Eglise est le signe.
L’Eglise n’existe que parce que Jésus-Christ en est le Seigneur, assis à la droite de Dieu. Mais de même, le pardon, la résurrection de la chair, la vie éternelle, qui sont les articles du Symbole des Apôtres, nous le comprenons bien, sont liés à l’action conjointe du Fils et de l’Esprit. K. Barth parle alors d’un aspect objectif de la révélation qu’est la christologie, et d’un aspect subjectif qu’est la pneumatologie. « Le Saint Esprit est Dieu venant7à l’homme pour lui devenir manifeste, pour que l’homme se laisse réconcilier » (K. Barth, Credo, p. 21 7 id, p. 168). Luther : « Je crois que je ne puis par ma raison et mes propres forces croire en Jésus Christ ni venir à lui ». Il faut que l’Esprit l’y pousse. Luther poursuit dans son Grand Catéchisme : « L’Esprit saint m’appelle par l’Evangile, m’éclaire de ses dons, me sanctifie et me maintiens dans la vraie foi ; c’est Lui qui sur la terre appelle toute l’Eglise chrétienne, l’assemble, l’éclaire et la sanctifie, et la conserve en, Jésus-Christ dans l’unité de la vraie foi. » Il est à noter dans ce texte que l’action de l’Esprit, les effets de sa présence, sont identiques dans la vie du chrétien et dans la vie de l’Eglise.

Le dogme de la Trinité a ceci de particulier qu’il distingue les personnes, les actions de chacune d’elles, respectant tout à la fois le mystère du divin et sa révélation particulière. Ainsi, nous ne pouvons confondre Esprit de Dieu et Parole de Dieu. Ni Esprit et Christ. Même si Paul rappelle que « personne ne peut dire : Seigneur Jésus, que par l’Esprit saint. » (1Co12,3). Dieu nous est voilé comme Père et dévoilé comme Fils, et sur ce chemin qui va du mystère à la lumière, Dieu se communique aux hommes par l’Esprit, chemin qui nous mène du jugement à la grâce, de la mort à la vie. Le Christ, dans sa résurrection et son ascension, rend possible ce don de l’Esprit qui équipe l’Eglise pour son témoignage. Nous ne réalisons sans doute pas suffisamment l’ampleur de ce don, la mesure de la distance franchie de Dieu vers l’homme que représente l’action de l’Esprit saint. Il y a une révélation de l’Esprit saint à la Pentecôte, de la même manière qu’il y a une révélation du Fils à Pâques. Mais ce qui est à remarquer, ce ne sont pas des révélations qui se superposeraient, s’ajoutant l’une à l’autre. La révélation du Fils à Pâques n’a pas d’autre contenu que la volonté du Père qui triomphe à la croix, dans la mort et la résurrection du Christ. De même, la révélation de l’Esprit ne vient pas s’ajouter à celle du Fils, mais elle la déploie dans le cœur de l’homme, dans l’Eglise, et dans ce monde.

« C’est lui qui me glorifiera parce qu’il prendra de ce qui est à moi et vous l’annoncera. » (Jean 16, 14). C’est pourquoi la révélation de l’Esprit, qui pourrait nous sembler soit évanescente, nimbée dans un flou azuréen, soit cantonnée au domaine de la mystique, soit ressentie comme excentrique, voire loufoque dans ses manifestations, a toujours à être reliée au mystère trinitaire. Cela nous préserve d’ériger en révélation n’importe quelle expérience personnelle, n’importe quel signe de l’histoire, n’importe quelle vérité acquise par la science ou la raison. Non que toutes ces choses ne puissent pas devenir parfois signes de présence de l’Esprit. Mais pas nécessairement. Il est impératif alors d’entreprendre une lecture « pneumatique » de nos dogmes, et de ce cortège fait de croyances plus ou moins élaborées et de pratiques surprenantes, pour nous laisser éclairer par l’Esprit. Qu’est-ce qui rend témoignage au Fils et au Père ?

Quelques éléments pour un discernement :
– l’Esprit nous assure que c’est dans le Christ, par grâce, que nous pouvons nous dire et être enfants de Dieu (ce que le Christ est par nature).
– l’Esprit nous fait voir dans les actes et les paroles de Jésus de Nazareth, sa mort et sa résurrection, une réalité divine qui nous concerne, nous enveloppe et nous nourrit.
– l’Esprit nous assure que le témoignage que l’Eglise rend au Christ est témoignage rendu à Dieu, exprimé dans toutes les langues et les cultures du monde.
Ce discernement s’exerce aussi dans la vie spirituelle et la prière. Lorsque nous prions, nous prions le Père, par l’Esprit, à cause du Fils. Toute la Trinité est comme contenue dans la prière. Mais si nous prions, c’est parce que Dieu est un Dieu de dialogue. En Lui, il y en a trois qui communiquent parfaitement et qui dialoguent en permanence. Si je peux dire « tu » à Dieu, c’est qu’il m’invite à entrer en relation avec lui de par sa nature trinitaire. Il est mon Père, mon frère, mon souffle. Il y a un aspect tridimensionnel de l’humain, que la Trinité vient fonder, je l’évoquerai en conclusion brièvement.
Comment concilier alors ce particularisme d’un Esprit dévoué au témoignage rendu au Fils et l’universalisme de sa présence ? N’y a t-il pas de sagesse spirituelle ailleurs que dans le christianisme ?
Il y a des manifestations spirituelles dans le monde qui témoignent de la soif des hommes de chercher sens et contenu à la vie, à la mort, au mal. Ce titillement est signe d’une présence de l’Esprit, non pas tant dans les réponses apportées que dans l’intranquillité qui tient les hommes éveillés.
Si l’Esprit est, pour une part et de notre côté, « Dieu tourné vers l’homme » il est reconnu dans son unicité. Il est Dieu, et non une puissance spirituelle quelconque. Le Symbole de Nicée Constantinople le nomme : l’Esprit Seigneur. Une puissance spirituelle n’est pas objet de foi.

 

4. L’Esprit saint et l’Ecriture

L’événement de la Pentecôte : chacun entendait les apôtres parler dans sa propre langue. La marque de l’Esprit à la Pentecôte, c’est que 3 000 personnes aient entendu les paroles des disciples dans la langue de leur cœur et qu’elles y aient répondu. Ceci va nous éclairer pour évoquer rapidement le rapport de l’Esprit à l’Ecriture. `

Luther : Pour bien comprendre ce saint cantique (le Magnificat), il faut remarquer que la vierge Marie parle après avoir fait une expérience personnelle par laquelle l’Esprit saint l’a illuminée et enseignée. Car personne ne peut comprendre ni Dieu ni sa Parole, s’il n’a été éclairé par l’Esprit saint. (M. Luther, Commentaire sur le Magnificat, p. 23).

Double présence de l’Esprit : dans les rédacteurs des livres bibliques ; dans le cœur de celui qui lit.
Les réformateurs ont parlé du témoignage intérieur de l’Esprit. Ils veulent dire que ce n’est pas à partir de sa cohérence, de sa logique, de sa beauté que l’Ecriture parle et a autorité, mais lorsque l’Esprit nous montre qu’elle est parole de Dieu pour nous.

Sans l’Esprit la Bible est un livre. Calvin : une chose morte, sans vigueur. Luther : ce méchant couffin qui enferme Moïse ! Les protestants ne devraient donc pas être « des papes, la bible à la main » (La Bruyère).
En même temps, l’Esprit saint qui inspira les auteurs est le même que celui qui me parle aujourd’hui et qui me touche par tel ou tel texte de l’Ecriture. Mais si nous ouvrons la Bible, c’est pour qu’y résonne la parole de Dieu. Il y a donc résonance entre l’Ecriture et l’Esprit, cohérence. Cette cohérence nous préserve de sombrer dans l’illuminisme, ou l’illusion que le christianisme commence avec moi.

Un dernier élément : je lis la Bible en Eglise, c’est à dire dans une assemblée croyante. Ma lecture vient enrichir comme elle s’enrichit elle-même, de la lecture de ceux qui l’ont lue avant moi. Car l’Eglise est rassemblée par l’Esprit.

 

5. Le dialogue avec les monothéismes

Comment rendre compte que les chrétiens, qui continuent, comme Jésus et avec lui, à croire en un seul Dieu, aient pu en venir ainsi à affirmer le Dieu trinitaire ?
Dans le dialogue que tentent d’instaurer aujourd’hui entre eux ceux qui croient en un seul Dieu, les confessions de foi des chrétiens, tel celui de Nicée Constantinople ou celui dit des Apôtres, contenant une affirmation et une structure trinitaire, semble une difficulté majeure. Le Prophète de l’Islam se scandalise : « Impies ceux qui ont dit : « Allah est le troisième d’une triade » Il n’est de divinité qu’une Divinité unique » (Coran, V, 7). En « ajoutant » le Fils et le Saint-Esprit à la foi au Dieu unique, les chrétiens ne rendent-ils pas le dialogue impossible avec les autres croyants ? Il y a donc un défi aujourd’hui à clarifier nos convictions pour que, sans renoncer à ce qui fonde notre foi, nous soyons suffisamment au clair en nous-mêmes pour poursuivre un dialogue avec d’autres. Quelle est notre image de Dieu ? Qui est Jésus par rapport au Père ? Comment le connaissons-nous ?

6. Une vision de l’homme

La Trinité fonde une vision de l’homme, la façon dont l’être humain se perçoit. De même qu’il y a une réalité trinitaire de Dieu, de même il ya une réalité ternaire de l’homme. Or, la plupart du temps, même dans l’Eglise, nous avons une approche binaire de l’humain. Nous appréhendons l’homme comme corps et âme, ou bien comme corps, âme et esprit. La question peut paraître théorique, et souvent nous avons tendance à ne connaître de l’homme que son corps et son âme, tout en niant la réalité de sa troisième dimension, celle que l’usage le plus ancien nomme esprit. (Michel Fromaget, L’homme tridimensionnel, Albin Michel, pp. 58-59). Étant incapable d’imaginer correctement notre esprit, nous le sommes plus encore de nous représenter « l’Esprit divin », l’Esprit avec un grand « E ». Car c’est notre esprit qui permet d’être en communion avec Celui que l’on appelle aussi l’Esprit saint.
Le mot « corps » désigne la part physique, matérielle, sensible de l’être. L’âme dont nous parlons est l’anima des Latins, la psyché des Grecs, la composante psychique de l’être, cette part qu’étudie la « psychologie ». Elle est constituée de l’intelligence, la pensée, la volonté, la mémoire, l’imagination, les sentiments, le conscient, l’inconscient.
Cette représentation est vérifiable, nous pouvons tous vérifier que nous avons un corps et une âme. Ce qui ne signifie pas que cette représentation soit juste.
Le christianisme considère qu’il n’y a de réalité perceptible de Dieu qu’une totalité, que la foi nomme Père, Fils et Esprit. De même, il n’y a d’homme véritable qu’accompli, c’est-à-dire fait en totalité. L’homme qui ne se vit que corps et âme, physique et mental demeure inachevé. Car il ne met pas en œuvre cette troisième dimension. Ce n’est pas gênant sur le plan naturel, ni sur le plan des apparences. Mais dans l’ordre spirituel, celui de l’éternité et de Dieu, le choix d’enfermer sa vie dans le cercle de préoccupations seulement matérielles et psychiques est un drame sans mesure.
Quiconque a un jour aimé d’amour pur, ou bien s’est laissé envahir par l’émerveillement induit par la beauté du monde, celui-là a déjà eu une première expérience de l’esprit. Ce faisant, il a déjà eu l’intuition de l’être accompli qu’il est appelé à devenir et qu’il sera un jour, s’il le désire. Car l’amour et la beauté sont en nous les manifestations de notre esprit (avec un e) qui est ouverture, participation et communion avec l’Esprit (avec un E).
Il est impossible de définir l’esprit. Mais s’il ne peut être épinglé par des mots, il est tout de même possible de l’imaginer si imparfaitement que cela soit notamment à travers des symboles ou des paraboles comme, par exemple, celles des noces de Cana. On pourrait faire une lecture des noces de Cana dans ce sens : les jarres, solides, figurent le corps notamment dans son opacité et sa pesanteur. L’eau est là un excellent symbole de l’âme. À Cana, le vin est le symbole de l’esprit. La transformation de l’eau en vin, par suite celle des jarres remplies d’eau en jarres pleines de vin symbolise l’appel au changement, l’ouverture à l’Esprit de l’être humain.
Cette transformation est la naissance de l’homme à l’esprit, de l’homme à son être en plénitude qui est fait de corps, d’âme et d’esprit. La scène de ces noces enseigne que cette transformation se fait par le Christ : c’est lui qui transforme l’eau en vin. Le miracle des noces de Cana est le premier signe de Jésus dans l’évangile de Jean (2,1-11). Il peint la nouvelle naissance. Toujours dans l’évangile de Jean (3, 1-21), le premier enseignement prononcé par Jésus, celui qu’il donne de nuit à Nicodème, est aussi consacré à présenter cette seconde naissance. Dans le même évangile, le dernier enseignement donné par Jésus à l’humanité (il est alors en croix), concerne encore cette naissance, dans les liens de filiation nouveaux que l’Alliance en Jésus introduit (Jn 19,26). Et pour cela, l’Eglise conseille la prière et l’écoute silencieuse, c’est-à-dire le silence intérieur.

Avant sa première expérience spirituelle, l’homme est semblable à un poisson rouge ignorant qu’il est prisonnier de son aquarium parce qu’il n’en est jamais sorti. Après en être sorti, ne serait-ce que le temps d’un éclair, il connaît sa condition et comprend qu’elle est éminemment tragique. Alors, le choix lui appartient. Soit il préfère oublier ce qu’il a vu et rester prisonnier. Soit il assume ce qu’il voit et il en tient compte dans sa vie quotidienne. C’est ce choix qui peu à peu donne place à une vie infiniment plus féconde et plus belle. Non plus obligatoire, mais libre. Une vie, non plus partielle, mais entière. Non plus relative, mais absolue. Non plus mortelle, mais éternelle. Cette vie supérieure n’est bien sûr rien d’autre que la Vie éternelle de l’Écriture, cette vie dont saint Augustin disait, si justement, qu’elle est « la Vie de notre vie ».

De la Trinité sainte à l’Ecriture : nous voyons au long des pages du Livre un Dieu en mouvement, une dynamique d’amour. Un Dieu créateur et Père, un Dieu sauveur et Fils, un Dieu consolateur et Esprit. Nous percevons les enjeux de la dimension de l’Esprit aussi bien dans notre approche de Dieu que dans notre vision de l’homme.
La formulation trinitaire peut rendre compte de notre foi, de ce que nous avons compris de Dieu tel qu’il se donne à rencontrer dans l’Ecriture, et de ce que nous pouvons comprendre de nous-mêmes dans cette dimension spirituelle si souvent niée.

Patrick Aublet – janvier 2017