par le pasteur Pascal Geoffroy, EPUdF Reims
Faire une déclaration est toujours un art difficile entre dire trop, dire mal, ne pas dire assez. C’est aussi l’exercice d’une parole commune qui demande beaucoup de maturation collective. Au moment où notre EPUDF se lance dans l’élaboration d’une déclaration de foi, je plaide pour que nous assumions joyeusement une expression limitée mais explicite. Le projet de base proposé aux Eglises locales me conduit ainsi à faire les remarques suivantes.
Un choix reste à faire
La Déclaration de foi est un texte dont l’usage est précis : lu à l’ouverture des synodes, assemblées générales, lors des cultes de reconnaissances et d’installations de ministères, c’est aussi un texte que les candidats au ministère pastoral doivent accepter formellement. C’est donc avant tout un texte de référence pour la vie institutionnelle de notre église. Le désir exprimé dans le dossier d’accompagnement de le rédiger aussi comme un document accessible au plus grand nombre en dehors de notre église me paraît incompatible avec son statut constitutionnel. Pour deux objectifs si distincts devraient correspondre deux écrits différents, pensés en cohérence, mais selon des formes spécifiques.
Un christocentrisme de façade
La proposition de base se présente de prime abord centrée sur le Christ avec en particulier les premiers mots du texte : « En Jésus le Christ… ». Mais il s’agit d’une apparence trompeuse pour deux raisons.
– Le christocentrisme, d’un point de vue théologique, est une articulation bien particulière entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit : mettre le Christ au centre, c’est affirmer que le Christ seul nous fait connaître le Père et nous envoie son Esprit. D’autres approches théologiques mettraient soit le Père, soit le Saint-Esprit en premier. Or dans ce texte aucune mention n’est faite ni de Dieu comme Père de Jésus et notre Père, ni de l’action de l’Esprit. Celui-ci est le sujet d’un seul verbe très imprécis à la fin du paragraphe 1. Il s’agit moins d’un christocentrisme que d’une christolâtrie.
– A propos de Jésus le Christ, le texte proposé évite soigneusement d’évoquer l’incarnation, la seigneurie sur le monde et l’histoire, rien non plus sur son retour. Or, celui qui est venu et a parlé est aussi celui qui va revenir. Et son retour annoncé compte tout autant que sa première venue. Cette espérance oriente et finalise toute la vie de l’église et des croyants. Par ailleurs, tout ce qui est dit du Christ au fil du texte est dit en fonction de ce qu’il est « pour nous ». Ce texte me semble, en dépit des précautions oratoires prises, d’avantage ecclesiocentré – sur ce qu’est notre église aujourd’hui, que christocentré.
Une vague réconciliation…
… plutôt qu’une vague de réconciliations. Le texte évoque la réconciliation avec Dieu (paragraphes 2 et 3). Nous pouvons donc en déduire prudemment que l’humanité était fâchée avec Dieu. Mais on cherchera en vain plus de précisions à ce propos. Le texte évite de parler de la rupture avec Dieu, qui abîme l’humanité et le monde. Recevoir la grâce conduit pourtant à regarder l’ampleur de la misère humaine et de ses souffrances avec courage et confiance. Cette absence de référence au péché a au moins deux conséquences :
– La première porte sur la faiblesse de l’engagement social vaguement sous-entendu entre les lignes dans les paragraphes 3 et 4. Pour un texte écrit pour notre temps, il est étonnant que rien ne soit dit sur les défis climatiques, migratoires, démocratiques, questions dans lesquelles pourtant notre église et ses partenaires (aucun n’est mentionné) sont officiellement impliqués.
– La seconde conséquence est l’absence de mention de l’évangélisation et de la proclamation de l’Evangile dans le monde. Dans cette Déclaration, l’église écoute une Parole qui fait beaucoup de choses toute seule, mais n’entraîne pas la parole de l’église.
Le risque de déclarer pour ne rien dire
Il y a trop d’adjectifs qui ne disent rien et trop de verbes imprécis dans ce texte. En quoi la Parole est-elle bouleversante ? De quoi est-elle fondatrice ? En quoi ébranle-t-elle ? A quoi nous engage-t-elle ? En quoi est-elle belle ? En quoi est-elle source de joie ? De quelle dignité nouvelle parle-t-on ? Pourquoi la grâce est-elle merveilleuse ? Pourquoi le témoignage des Ecritures est-il décisif ? Comment les chaînes de l’injustice sont-elles brisées ? Qu’est-ce que la sollicitude de Dieu ? Je suis d’accord avec toutes ces expressions, mais elles sont incomplètes. Ce sont des formules vides de tout contenu dans cette proposition. Aussi, la lecture du dernier paragraphe sonne étrangement : « L’église partage une vérité qu’elle ne possède pas… » On voit bien en effet, tout au long du texte, qu’elle ne possède pas grand-chose, mais de quelle vérité s’agit-il donc ?
La « recherche avec passion » évoquée un peu plus loin semble être devenue dans cette page la recherche passionnée de l’imprécision et de l’évitement. Je retiendrai comme l’audace la plus remarquable du texte celle de commencer une phrase et un paragraphe (le 3e) avec un pronom relatif : « Qui… ».
Il est vexant de recevoir un texte si flou comme base de travail avec tant de phrases inachevées et de silences. C’est un peu comme si les églises locales et leurs membres ne pouvaient pas d’emblée se saisir de contenus plus substantiels pour les améliorer encore.
Sur le processus synodal
La nature même de ce premier texte proposé –il a quand même le mérite d’exister– serait cohérente de mon point de vue avec un deuxième cycle de travail local, régional et national. Cela permettrait la mise en place d’une pédagogie approfondie et formatrice pour un enjeu qui n’est pas mince. Il serait intéressant et même exemplaire, que les églises locales se prononcent à nouveau sur le résultat du synode national 2017 pour faire remonter de nouvelles réflexions et propositions en vue d’une adoption définitive de la nouvelle Déclaration de foi au synode national de 2018.
Avril 2016 – Reims
pasteur Pascal Geoffroy