par Michel Block, pasteur EPUdF à Brest
Les onze premiers versets du chapitre 15 de la première lettre aux Corinthiens, nous amènent à revisiter un des fondements de la foi chrétienne, à savoir la résurrection de Jésus. Tout au long de cette lettre Paul cherche à régler les problèmes internes que connaît la communauté locale de Corinthe. Pour ce faire, il inclus ses recommandations entre un premier chapitre parlant de la mort de Jésus sur la croix et ce quinzième, tout entier dévolu à la résurrection. Ce besoin de revenir aux fondamentaux, aux bases de la foi et lié au fait que, peut-être par orgueil (c’est ce que semble sous-entendre la fin du chapitre 1 ou encore le début du chapitre 3), les Corinthiens semblent s’en être éloignés.
Je trouve qu’il y a dans le mouvement des Attestants quelque chose d’un peu comparable à ce retour. Plusieurs de ceux qui se sont investis dans ce projet avaient le sentiment que l’EPUdF s’éloignait des affirmations essentielles du christianisme. Cet éloignement constitue un péril existentiel pour l’Église. Je suis pour ma part très sensible à cet avertissement que Paul lance aux Corinthiens : » Autrement, vous auriez cru en vain » (verset 2). Si, comme les Corinthiens du temps de Paul, l’Évangile que nous avons reçu, dans lequel nous avons persévéré et par lequel nous sommes sauvés devait être désormais retenu dans d’autres termes (c’est-à-dire selon un autre fond) que ceux dans lesquels il nous a été annoncé, alors, nous aurions cru en vain, notre foi serait vaine, et la raison d’être de l’Église serait caduque. Je ne veux pas dire que je sois attaché à un conservatisme figé quant à la lettre des formulations de la foi ; je crois même qu’il est nécessaire de chercher les expressions les plus adéquates pour nous faire entendre de nos contemporains, mais cet effort ne doit pas être fourni au prix de l’évacuation de la vérité que ces manières de dire doivent exprimer.
Je ne veux pas revenir ici sur ce fond, mais sur la manière dont Paul le présente. En effet, les commentateurs relèvent que l’apôtre commence par citer une ancienne formule, qu’il semble avoir lui-même reçu : » Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; il a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ; et il est apparu à Céphas, puis aux douze. » (Versets 3b à 5a). Les exégètes considèrent que l’énoncé traditionnel s’arrête là, car en effet les mentions d’apparitions suivantes, aux 500 frères, à Jacques, puis aux douze, ne trouvent pas un écho exact dans les évangiles. Pour finir, Paul s’inclue dans la liste de ceux à qui le ressuscité est apparu.
Je trouve cette articulation extrêmement intéressante, puisque Paul commence par réciter le catéchisme qu’on lui a enseigné après sa conversion. À son tour, devenu missionnaire, il n’a pas cherché à réinventer la poudre et a transmis les formulations que partout dans les premières communautés chrétiennes on utilisait pour exprimer la foi. Transmettre, c’est bien le mot. Avec cette phrase, Paul passe un relais qu’il avait lui-même reçu. Mais, et je crois que cela est essentiel, il ne s’en tient pas là. L’ajout des autres personnes ayant vu le ressuscité déborde de ce qui va devenir la racine du Credo. Non pas parce que Paul prétendrait corriger, améliorer, ou rendre plus crédible les affirmations précédentes, mais parce qu’elles sont pour lui plus qu’un simple énoncé normatif. Il s’agit de la description d’un événement dans laquelle il inscrit d’autres protagonistes, dont lui-même. Paul alors ne transmet plus, il témoigne. Cela me paraît très significatif avec la mention, concernant les 500 frères, » dont la plupart sont encore vivants « , sous-entendu : » Si vous voulez les entendre directement, c’est possible. » Ceux-là, comme lui, au moins, sont encore vivants. Ce sont les témoins d’un événement qu’ils ont vécu plus encore qu’ils ne l’ont appris et enseigné. Lui-même est donc prêt à risquer une parole, rencontrer à nouveau les Corinthiens, pour dire ce qu’il a vécu et rappeler que la foi n’est pas vaine, puisqu’elle impacte la vie.
Ce passage de la transmission au témoignage me semble une clé très importante pour nous aujourd’hui. Depuis plusieurs années maintenant, notre Église veut être une Église de témoins. Le projet me paraît hautement louable, et, comme beaucoup d’autres, j’ai participé aux formations au témoignage que nos instances ont proposé. Cela a attiré mon attention sur un élément sans doute cruel, mais que je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer. Dans ces formations, beaucoup des participants étaient des membres investis de nos communautés locales, plus ou moins âgés, attachés au bon fonctionnement de l’Église et à sa pérennité. Je ne peux que rendre grâces au Seigneur pour leur sincérité et leur fidélité au service de l’Église. Cependant, j’en ai souvent entendu exprimer leur désarroi quant à ce dont ils avaient à témoigner. Au-delà des techniques données, des encouragements exprimés et des efforts investis, le problème revenait : qu’est-ce que nous avons à dire ? Je ne pense pas que la proverbiale » pudeur » protestante soit le seul facteur explicatif. Au risque de paraître brutal, je formulerai le problème par cette question : » Comment témoigner quand on a que des choses à transmettre ? » Comment s’insérer, s’impliquer soi-même dans un témoignage quand ce qui faisait jusque-là le corps de l’adhésion à l’Église était un ensemble d’énoncés appris par cœur, plus ou moins bien retenus et plus ou moins bien compris, mais rarement des vérités expérimentées, des événements vécus ? Certes, il ne s’agit pas de prétendre valider la foi sur la seule base de l’expérience. Mais à trop évacuer cette dimension, nous n’avons peut-être fait que transformer le cœur vivant du christianisme, exprimé dans sa couleur protestante, en un ensemble patrimonial, une identité mêlant attitudes éthiques, héritages culturels et réalités sociologiques. Le documentaire de Valérie Manns : » Protestants de France » diffusé il y a un an, est à ce titre tout à fait significatif. Pour les diverses personnalités protestantes interrogées (pasteur, journaliste, comédien, politique…), le protestantisme est avant tout une culture, une manière d’être et un patrimoine. Mais pas une foi.
Un autre signe très fort pour moi de cette sorte de » déperdition » de la foi au profit de la culture tient au constat fait de plus en plus fréquemment que les protestants ne lisent plus la Bible. Il est devenu tellement évident que l’actuelle présidente de notre Église, prenant ici la suite de son prédécesseur, a décidé, avec le conseil national, de faire de la lecture de la Bible un thème central de nos vies ecclésiales dans les prochaines années. Il faudra simplement être très vigilant quant au fait que la lecture de la Bible ne soit pas simplement défendue comme un des marqueurs culturels du protestantisme, mais la source de la vie de foi des fidèles de nos Églises. Ne lisons pas la Bible parce que » les protestants lisent la Bible « , mais pour entendre à travers elle ce Dieu a à nous dire. N’incitons pas les membres de nos communautés à lire la Bible pour augmenter leur culture, mais pour approfondir leur relation avec le Dieu vivant.
C’est pourquoi j’ai reçu le récent discours du président de la République devant les instances de la Fédération Protestante de France avec joie, le 22 septembre dernier, comme une interpellation pas seulement lancée aux tenants d’une laïcité de fermeture, mais aussi à ses auditeurs directs, c’est-à-dire nous : » Ma conviction profonde est que je rendrai nullement service à la laïcité si je m’adressais à vous comme à une association philosophique. Dans votre histoire, dans votre diversité, dans le pluralisme même de vos options morales et politiques (…) je ne saurai oublier que vous êtes unis par une foi. Votre identité de protestants ne se construit pas dans la sécheresse d’une sociologie mais dans un dialogue intense avec Dieu. » Rappeler ainsi que le protestant se tient devant Dieu c’est l’appeler à témoigner de sa foi plutôt que décliner son identité.
Nous sommes en vérité devant un grand défi, et il me semble qu’il n’était pas nécessaire que ce soit le président de notre République qui nous le désigne. L’Église Protestante Unie de France va-t-elle oser, au-delà de sa déclaration de foi, témoigner de la vie de son Seigneur en elle ? Au-delà des mots dont nous nous servons pour parler de notre foi, allons-nous la vivre ? La foi ne se transmet pas. On en témoigne par la manière dont on en vit. Ainsi, je nous crois appelés à assumer notre être croyant, sans fierté mal placée. Il y a en effet plus de quoi tirer un mauvais orgueil d’une culture à laquelle on appartient que d’une foi dans laquelle on reçoit la vie. » Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » nous dit Paul (verset 10). Plus que de transmettre ce que nous sommes, c’est à témoigner de Celui par la grâce duquel nous le sommes que nous nous nous trouvons, aujourd’hui comme toujours, appelés. Je crois que le mouvement des Attestants a ici une contribution importante à apporter.