Dans un article du journal protestant Réforme, le pasteur Antoine NOUIS évoque le sondage mené par l’Ifop sur les protestants de France métropolitaine en soulignant un point qui peut nous inquiéter : la baisse importante du nombre de luthéro-réformés, soit 130 000 personnes en quatorze ans. Devant ce constat alarmant, il appelle à une réaction passant par une remise à plat : « l’organisation de l’Église, sa structure financière, son patrimoine immobilier, la formation des pasteurs, l’organisation des paroisses, leur témoignage… » et ouvre un débat pour toutes les suggestions qui pourraient être faites dans ce sens.
Nous nous réjouissons d’un tel appel et nous nous efforçons, par ces lignes, de contribuer à cette réflexion. Il nous renvoie à une question soulevée régulièrement : qui sont les luthéro-réformés ? Les protestants se reconnaissant avant tout dans l’héritage des Réformateurs LUTHER, ZWINGLI et CALVIN, pour ne citer que les plus anciens ? En ce cas, cet appel concerne plusieurs unions d’Églises dans notre pays, dont l’UNEPREF (Union Nationale des Églises protestantes réformées évangéliques de France, née en 1938), ou l’UEEL (Union des Églises évangéliques libres de France, née en 1849) et bien évidemment l’UEPAL (Union des Églises Protestantes d’Alsace-Lorraine).
Il semble pourtant que l’article du pasteur Nouis pense en priorité à l’EPUdF.
Il y a lieu de nous interroger : cet appel doit-il mener à un sursaut pour sauver une institution, ou bien servir à un réveil pour ranimer une Eglise en train de s’endormir du sommeil de la mort ?
Nous optons pour la deuxième proposition. Si remise à plat il doit y avoir, c’est au niveau spirituel et convictionnel que tout doit être repris. Faute de quoi, on cherchera seulement à redonner des couleurs aux fruits d’un arbre déraciné. Voulons-nous un simple retour en arrière, à une liturgie, à des chants, et à une composition d’Eglise comme il y a vingt, quarante ou cinquante ans ? Nous risquons alors de faire de notre Eglise un musée, un conservatoire d’un passé en grande partie imaginaire et pas du tout représentatif d’une identité objective. Ou bien voulons-nous accepter que notre identité la plus profonde ne soit pas une construction obtenue par nos propres efforts mais un don reçu de Dieu, le seul maître de l’Eglise ? C’est ainsi que nous comprenons notre identité. Il ne s’agit pas de renier quoi que ce soit de la tradition à laquelle nous appartenons. Mais il s’agit de comprendre que cet héritage doit demeurer vivant, enraciné dans sa réalité spirituelle et théologique, plus que culturelle et sociologique.
Ainsi, pour bien nous dire luthéro-réformés, nous devons nous comprendre comme disciples du Christ. Car la Réforme a d’abord été un ressaisissement spirituel au nom de la fidélité au Christ. En conséquence, entre les chorals de BACH et les quatre-vingt-quinze thèses de Martin LUTHER, nous choisissons ces dernières. Mais entre ces thèses et les Béatitudes, nous choisissons les Béatitudes. Nous ne sommes pas disciples de LUTHER, mais du Christ. Entre l’architecture et la décoration des temples réformés et l’Institution de la Religion Chrétienne de Jean CALVIN, nous choisissons l’Institution. Mais entre cette Institution et le Sermon sur la Montagne, nous choisissons le Sermon sur la Montagne. Nous ne sommes pas disciples de Jean CALVIN, mais du Christ.
Trois textes bibliques nous guident dans notre prise de conscience :
« Ces os pourront-ils revivre ? » demande Dieu au prophète Ézéchiel (37. 3). Seulement par une action de l’Esprit invoqué sur eux, et pas par un réassemblage des structures d’un squelette éparpillé. L’action de l’Esprit de Dieu n’a pas seulement reconstitué une armée défunte, il lui a donné une espérance nouvelle, basée sur une véritable reconnaissance de la souveraineté de Dieu sur son peuple. Ce n’est que par l’Esprit de Dieu que son peuple peut vivre et revivre. L’Esprit, qui se pose sur des cœurs ouverts par la repentance et les guide sur les chemins de la fidélité et de l’obéissance. Ecoutons l’appel du Seigneur pour nous aujourd’hui ! Il mettra son Esprit en nous et nous vivrons ; il nous rétablira et nous reconnaîtrons que lui, L’Eternel, parle et agit encore parmi nous aujourd’hui.
Jeunes Églises encore marquées par la prédication des apôtres de Jésus, affligées par des persécutions qui les conduisent à témoigner, jusqu’à l’extrême, de la mort et de la résurrection du Christ, les sept communautés d’Asie Mineure à qui Jésus s’adresse dans les chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse sont pourtant appelées à se repentir.
La proximité historique avec Jésus et les disciples, la jeunesse de leur fondation, le martyre subi par elles, ne les tiennent pas pour autant éloignées de toute infidélité, exemptes de tout manquement, inaccessibles aux remises en question. Un appel puissant à la repentance retentit à travers les lettres aux sept Églises de l’Apocalypse. Et ce que ces Églises sont conduites à entendre, ce n’est pas le courroux d’un Dieu insatisfait de leurs maigres exploits spirituels ou la menace d’un Dieu moralisateur devant leurs divisions ou leur rivalité. Au cœur de cet appel à la repentance, les communautés de l’Apocalypse doivent entendre comme à nouveau l’appel inlassable de Celui qui les aime, qui est suffisamment fou d’amour pour espérer encore et toujours leur retour, de Celui qui les aime assez pour insuffler en elles un vent de fidélité retrouvée.
Et nous ? Il y a bien longtemps que le dernier apôtre est mort, il y a bien longtemps que le protestantisme français ne subit plus de persécution, il y a toute une histoire dont les protestants sont souvent fiers et qui émousse pourtant la ferveur, l’invention, la confiance qui naissent des commencements. Ces sept Églises que nous pouvons admirer par certains aspects nous sont bien éloignées par d’autres, et la vie de nos communautés paraît souvent bien plus fade, bien plus tiède, que la leur ! Et si nous, protestants qui nous reconnaissons dans le courant luthéro-réformé, nous étions appelés à notre tour à faire retour sur nous-mêmes, pour ajuster nos voies à celles de Dieu, nos pensées aux siennes ? Si nous étions appelés à réviser nos constructions administratives, intellectuelles, mentales, spirituelles, pour entrer dans une démarche de confiance, d’écoute, d’ouverture à l’Esprit-Souffle ? Si nous nous laissions bousculer dans notre orgueil, qui prend bien des formes et des incarnations en nous et parmi nous ? Pour nous laisser simplement rejoindre par l’Amour de Dieu, seule source de vie et de renouvellement ? Pour retrouver en nous, dans nos communautés, la soif de la prière, et du face-à-face avec Lui et de l’obéissance à sa Parole ?
C’est la raison pour laquelle nous avons à cœur de vous partager cette conviction que l’avenir de l’Église ne dépend pas de stratégies de survie, de recettes à appliquer, mais d’une part de l’attitude de repentance et d’humiliation devant Dieu de chacune et chacun, et d’autre part, du regard que Dieu posera sur cette démarche.
À celles et ceux qui se sentent appelés à répondre à l’appel de Dieu pour prier pour son Église, nous proposons de vivre un temps de prière orientée vers la repentance. Ce temps nous sera donné pour confesser et reconnaître devant Dieu notre responsabilité collective dans la situation que traverse notre Église.
En relisant Daniel 9, 1-19, nous découvrons que l’appel à la repentance n’est pas l’initiative de personnes qui se positionneraient en surplomb des autres. Daniel, homme juste dans ses actions, se situe en solidarité complète avec le peuple. Cet appel à prier pour l’Église inclut donc aussi pour chacune et chacun de nous la reconnaissance de la part que nous prenons dans la situation actuelle de l’EPUdF.
Ce temps dédié à la prière de repentance devant Dieu sera l’occasion à saisir pour replacer nos assemblées dans une disposition d’obéissance, c’est-à-dire d’écoute pratique de Dieu. C’est à un réveil spirituel, un retour à Dieu, qu’il faut s’ouvrir. Repentance pour l’orgueil intellectuel qui caractérise notre protestantisme, et qui infléchit la formation de nos ministres. Une foi réfléchie et outillée, et ancrée dans la confiance dans l’Écriture et l’écoute du Seigneur, doit être notre marqueur. Repentance pour la faiblesse de notre obéissance à la volonté de Dieu telle qu’exprimée dans le texte biblique face aux enjeux éthiques qui traversent notre société. Repentance pour notre paresse à discerner ce que le Seigneur cherche à dire à nos contemporains et à être témoins auprès d’eux de sa présence…
C’est pourquoi nous appelons à un grand mouvement de prière parmi celles et ceux qui se sentent concernés par cette situation et qui sont persuadés que c’est en se tournant vers le Seigneur que nous pouvons retrouver le chemin de notre témoignage et de notre service.
Que le Seigneur nous guide, pour marcher à sa suite, sur ce chemin de vérité.
Patrick AUBLET, Michel BLOCK,
version complète de l’article publié en juin 2025
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