Quelques réflexions à l’occasion de Pâques
Certains pensent que la résurrection de Jésus n’aurait aucune réalité historique. Ce ne serait pas un fait objectif, inscrit dans l’espace et le temps, mais un mythe, en quelque sorte, c’est-à-dire l’expression sous forme narrative, symbolique, métaphorique, d’une vérité spirituelle fondatrice, à savoir que si Jésus est mort, son message n’est pas mort, et a continué à se répandre après lui. Au-delà de la crucifixion et de l’ensevelissement de leur maître, Les disciples de Jésus n’ont pas cessé de croire en son message de vie et d’espérance, le Royaume de Dieu. Pâques ne serait, finalement, qu’une interprétation de la croix et de la personne de Jésus.
Derrière cette affirmation, il y a un présupposé : à savoir qu’il est impossible selon les lois élémentaires de la nature qu’un mort revienne à la vie. C’est contraire à ce que nous enseigne notre raison humaine, qui nous a appris à dissocier la réalité du merveilleux. Vieux réflexe hérité des Lumières, du scientisme du 19e siècle, et qui remonte encore plus haut : voir la réaction des philosophes athéniens au discours de Paul (Actes 17.32). La vie éternelle, dans cette perspective, devient donc, logiquement, non pas une vie immortelle, sans fin, mais la « vraie vie ». En quelque sorte, je ressuscite, je passe de la mort à la vie, lorsque j’accède à l’existence authentique, celle qui m’ouvre à l’amour, à la réconciliation avec Dieu et la rencontre avec l’autre, etc.
Disons-le tout net : cette compréhension de la Résurrection ne rend pas justice -et elle est même contraire- à l’enseignement du Nouveau Testament, des Evangiles comme des Epîtres, notamment celles de Paul.
Dans les Evangiles, il est vrai qu’il n’y a pas de récit descriptif de l’événement de la résurrection de Jésus à proprement parler. Personne ne voit directement, ni ne raconte comment Jésus a été relevé d’entre les morts. Les seuls témoignages sont de deux ordres :
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la découverte du tombeau vide. Elle constitue un fait massivement attesté par tous les évangélistes. On peut toujours l’expliquer en affirmant que les disciples ont dérobé le corps, et c’est une polémique dont Matthieu fait remonter l’origine aux grands-prêtres (Matthieu 28.12-15). « Ce récit s’est répandu parmi les juifs jusqu’à nos jours »). ll faut bien choisir une explication : ou bien, effectivement le tombeau vide est une mise en scène (donc Matthieu est complice, conscient ou pas, d’une falsification), ou bien il s’est passé autre chose !
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L’autre type de témoignage, c’est celui des rencontres avec le ressuscité : les apôtres, à plusieurs reprises, Marie de Magdala, les deux pélerins d’Emmaüs…
Du point de vue des historiens, il n’est bien sûr pas possible d’établir la résurrection de Jésus comme un fait aussi vérifiable et constatable que la découverte de l’Amérique au 15e siècle ou la mort de Georges Pompidou le 2 avril 1974. Ce que les historiens constatent en revanche, c’est qu’un mouvement messianique juif, décapité par la mort de son fondateur, et promis donc à disparaître, a pourtant connu une explosion et une expansion inouïe au lendemain même de cette mort, vers l’an 30 de notre ère. Le Nouveau Testament nous dit pourquoi !
Dans les récits de rencontre avec le Ressuscité, Jésus se fait reconnaître physiquement : par exemple quand il montre ses plaies de crucifié pour bien attester qui il est (Jean 20.20-27). Ou quand il mange un poisson devant ses disciples (Luc 24.42). Et pourtant, son corps, c’est-à-dire son existence, sa vie, est déjà d’une autre nature, puisqu’il apparaît à ses disciples alors que toutes les portes de la maison où ils se trouvent sont fermées ; de même, les pélerins d’Emmaüs, ou Marie de Magdala, ne peuvent le reconnaître immédiatement (Jean 20.15 ; Luc 24.16). Cela nous atteste que le corps de Jésus ressuscité est beaucoup plus, bien autre qu’un simple cadavre réanimé ! La résurrection n’est pas un retour en arrière, à la « vie d’avant », mais l’entrée dans une existence nouvelle. Il y a eu des « réanimés » avant Jésus : Lazare, le fils de la veuve de Naïn… Mais le premier ressuscité, c’est le Christ.
Dans le grand chapitre qu’il consacre à la Résurrection, 1 Corinthiens 15, Paul répond à ceux qui nient la résurrection des morts. S’il n’y a pas de résurrection des morts, écrit-il, alors Christ n’est pas ressuscité, et notre foi est vaine (littéralement : vide, sans objet), écrit l’apôtre (v. 14) ! Paul va même jusqu’à dire que cela revient à faire de lui-même (Paul revendique aussi la rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas) et des autres témoins de la Résurrection, ceux qui ont vu Jésus après sa mort, les auteurs d’un faux témoignage. Et de conclure : Si le Christ n’est pas ressuscité, si la mort est vraiment le point final, si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, alors nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes (parce que nous fondons notre espérance sur une illusion), 1 Corinthiens 15.19
Pour être sûrs que Paul parle bien de la résurrection corporelle de Jésus (et donc de la nôtre), il suffit de lire la suite de ce chapitre : Paul répond à partir du v.35 a cette objection : mais avec quel corps les morts reviennent-ils à la vie ? Il utilise alors une image très parlante : la semence mise en terre et d’où surgit la plante. Cette image dit à la fois la rupture et la continuité entre la vie présente et la vie ressuscitée.
La rupture : de même que la plante n’est pas identifiable à la semence, le corps de résurrection n’est pas identifiable à notre corps, corruptible et mortel. Ce qui est vrai de Jésus ressuscité l’est aussi pour nous-mêmes. Si nous croyons à la résurrection de la chair, il ne faut pas restreindre ce mot, « chair », au sens étroit de corps biologique et matériel. La chair, bibliquement, c’est la personne humaine tout entière, vue dans sa finitude, dans sa fragilité de créature. Croire à la résurrection de la chair, c’est croire que Dieu veut nous régénérer et faire de nous des créatures nouvelles, à l’image du Christ ressuscité, premier-né, « prémices » de la nouvelle Création. Et promesse, gage de notre propre résurrection.
Mais Paul aussi souligne la continuité entre vie présente et vie de ressuscité : la plante… vient bien de la semence ! « Il faut que notre être corruptible revête l’incorruptibilité, et cet être mortel l’immortalité » (v.53). Autrement dit, c’est toute ma vie présente, que je ne vis pas ailleurs que dans mon corps, et même en tant que corps (mortel), qui est appelée à l’incorruptibilité et à l’éternité. Rien de ma vie présente, de mes actes, pensées, émotions, rien de tout ce qui fait ce que je suis n’est perdu pour Dieu. La mort ne peut nous séparer du Seigneur ni nous priver de la gloire à venir. Cette gloire viendra transformer et régénérer l’univers, y compris donc nos existences présentes, parce que c’est ce monde que Dieu a aimé au point de lui donner son Fils : au point de s’y incarner et de venir y partager notre existence et notre condition. Le monde aussi, nous dit Paul, sera libéré de l’esclavage de la corruption, c’est-à-dire de la mort (Romains 8.20).
« Si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous » (Romains 8.11)
Christophe Desplanque, pasteur dans le Bassin Alésien-30