par Christophe Desplanque, pasteur
Affirmer que les Ecritures ont une autorité souveraine, et constituent la règle de la foi et de la vie (déclaration de foi de l’ERF adoptée en 1938), ou, de façon moins nette, qu’il faut se laisser conduire au quotidien par les textes bibliques (déclaration de foi de l’EPUdF votée au synode de Lille en 2017), c’est reconnaître que les Ecritures ne nous trompent pas (elles ne nous mentent pas), et ne se trompent pas (elles ne contiennent pas d’erreur). Inerrantes, fiables, les Ecritures ? Oui, parce qu’inspirées par Dieu. Ce qui ne signifie pas qu’elles ont été comme « dictées », et que l’Esprit Saint aurait « court-circuité » les mentalités, les cultures, les conditions de vie et les contextes historiques qui ont profondément marqué les auteurs bibliques, dont l’œuvre s’échelonne sur plus d’un millénaire.
Les deux déclarations de foi précisent, chacune à leur manière, que c’est par l’éclairage que nous donne l’Esprit Saint que nous pouvons être conduits, guidés dans notre écoute des Ecritures. Si c’est lui qui, mystérieusement, a inspiré les différents auteurs des Ecritures tout au long des siècles (voir 2 Timothée 3,16), il en est donc le meilleur interprète ! C’est bien pour cela qu’au culte (personnel ou communautaire), nous n’ouvrons pas la Bible sans demander l’illumination de l’Esprit Saint.
Ce que les textes bibliques nous révèlent ne se donne pas, en effet de façon immédiate, directe. C’est notre expérience commune : il faut prendre le temps de les comprendre. Découvrir l’intention qui animait l’auteur du texte que nous lisons, saisir ce qu’il pouvait signifier pour ses premiers lecteurs, bref le replacer dans son contexte historique, dans celui, plus large, de l’ensemble du canon biblique, et le traduire dans le nôtre… tout cela nécessite de mobiliser toutes les ressources de notre intelligence, laquelle n’y suffit pas toujours ! « Comprends-tu ce que tu lis ? » demandait Philippe à l’Eunuque Ethiopien, qui avoua son besoin d’être aidé (Actes 8,31). L’exemple est intéressant, car Philippe lui a fourni une clef d’interprétation majeure pour appréhender le texte que l’éthiopien était en train de lire (le chant du serviteur en Esaïe 53) : Jésus-Christ, accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament.
Il faut se garder également de juger de la fiabilité des Ecritures à partir de critères qui n’étaient pas forcément ceux de l’auteur biblique. Un exemple classique est celui du 1er chapitre de la Genèse : s’évertuer à prouver que le monde a vraiment pu être créé en 6 jours pour défendre la véracité et donc l’autorité du texte, en essayant, par exemple, de le faire concorder avec l’état actuel des connaissances scientifiques sur l’origine de l’univers ou de la vie, c’est méconnaître le genre littéraire de Genèse ch. 1 (un poème liturgique qui nous dit le « pourquoi » de ce monde, et non un traité de biologie ou de cosmologie contemporain dont l’objet est d’en étudier le « comment »). Inversement, déclarer ce texte biblique faux en vertu de ce que nous savons sur l’âge de l’univers et les conditions de l’apparition du vivant serait aussi incongru que de corriger un ami qui nous inviterait à venir admirer le « coucher de soleil » en lui rappelant que le soleil ne se couche pas….
Prenons un autre exemple, qui met en jeu l’historicité dont se réclame le récit biblique : peut-on croire les statistiques fournies dans le livre des Nombres sur le peuple d’Israël au désert ? Plus de 600.000 hommes de plus de 20 ans, soit 2 à 3 millions d’individus en comptant les autres catégories (Nb 1,46 ; 11,21) n’auraient pas pu survivre dans le désert, ni même en Canaan ! Et deux sages-femmes pour tout ce monde, ç’aurait été peu.. (Exode 1,15). Certains se sont vainement essayés à prouver la plausibilité d’une telle masse, d’autres en ont hâtivement tiré la conclusion que le récit de la sortie d’Egypte n’était qu’un mythe, sans aucun fondement historique, destiné à glorifier la nation israélite. Double erreur. Le plus sage est de voir dans cet usage de grands nombres (qui concerne aussi l’âge des patriarches, par exemple), une convention littéraire, attestée dans la littérature du Proche Orient ancien, symbolisant l’accomplissement des promesses de Dieu, sa générosité (Nb 11,23), et la puissance qu’il exerce pour son peuple, Israël. Bref, même s’ils sont arithmétiquement inexacts, ces grands nombres expriment une vérité fiable, y compris sur le plan historique.
Dernier exemple, plus sensible : Que faire de certains passages des épîtres du Nouveau Testament sur la place des femmes dans l’Eglise ? Interdire aux femmes d’y enseigner, voire d’y prendre la parole, en prétendant respecter ainsi l’ordre donné en 1 Timothée 2,11s, par exemple, c’est faire de cette épître un manuel de discipline ecclésiastique intemporel, sans considérer le contexte de l’Eglise d’Ephèse : de jeunes veuves, manipulées par de faux docteurs qui s’introduisaient dans les maisons (1 Tm 1,3 ; 2 Tm 3,6s), parlent à tout va et sèment la pagaille…(1 Tm 5,11-15). Cela, revient, en outre, à ne pas replacer le texte dans le contexte d’ensemble du Nouveau Testament et notamment des lettres de Paul, pas si répressif vis-à-vis de la parole des femmes puisque 1 Corinthiens 11,5 sous-entend qu’elles prêchent ! Le cœur des relations entre hommes et femmes, en Christ, c’est Galates 3,28 qui le définit : cette différence, si « clivante » à l’époque, est abolie. Mais il peut arriver à Paul de modérer l’aspiration des femmes dans l’Eglise primitive à en tirer toutes les conséquences pratiques, en fonction des circonstances (même remarque sur la question des liens entre maîtres et esclaves).
Pour conclure : confesser que les Ecritures sont fiables, ce n’est pas se lancer dans des contorsions désespérées pour faire « coller » entre eux des passages apparemment contradictoires, ou tenter de prendre à la lettre toute affirmation biblique sans avoir vraiment pris le temps de vérifier ce qu’elle VOULAIT DIRE.
C’est, toutefois, prendre au sérieux l’Ecriture dans son entier, même dans ses passages les plus gênants, voire les plus à contre-courant des modes et mœurs ambiantes. Même lorsqu’ils contestent notre compréhension de Dieu et de notre relation à lui. C’est un peu, finalement, nous « battre » avec le texte biblique comme Jacob s’est battu avec Dieu au gué du Jabbok (voir Genèse ch. 32). Jacob aurait pu tenter d’éviter, ou de cesser le combat. Tout comme nous pourrions refermer notre Bible devant un passage obscur ou qui nous heurte, en nous disant : il n’y a rien à en retirer, ou bien, ce qui revient au même, retenir de la Bible ce qui nous arrange et refuser ce qui nous dérange. Il a préféré lutter toute une nuit, et n’a pas voulu laisser repartir son adversaire avant qu’il l’ait béni. Ne refermons pas notre Bible avant d’en avoir retiré notre bénédiction ! Une promesse de Dieu, une mise en garde, une sagesse, un encouragement, bref… une parole de vie, même si ce n’est pas celle que nous attendions.
Nous n’en sortirons pas intacts. Jacob est reparti béni mais… boiteux, boiteux…. mais béni !