par Pascal Geoffroy, pasteur EPUdF à Reims
Dans un précédent article, j’ai analysé la proposition de base comme un texte incomplet et imprécis. Pourtant cette proposition doit aussi être lue dans ce qui fait son unité interne et sa cohérence propre.
Les auteurs et le Conseil national avaient la possibilité entre autres, de proposer un mix ouvert des théologies réformée et luthérienne se complétant et se corrigeant l’une l’autre, avec un peu de théologie du process et assumant quelques aspérités. Après l’union de 2012, ce choix prudent, bien qu’un peu ennuyeux, aurait pu être légitimement tenté.
Mais c’est un autre choix qui a été fait, celui de la sortie de l’histoire : de bout en bout dans la proposition de base, l’épaisseur de l’histoire biblique est évacuée. La révélation n’est tout juste évoquée que par rapport à Jésus, dont la personne disparaît totalement au profit de la Parole de Dieu qu’il représente. Le monde n’a ni commencement ni fin. L’histoire passée ou en train de se faire est ignorée. Les références aux grands textes hérités existent mais n’engagent pas la foi présente. Rien de ce qui relève de la vie relationnelle inter-individuelle ou collective n’est mentionné, comme si le vivre ensemble dans la société et dans l’église était éternellement acquis.
Du passé faisons table rase. Des réalités fondamentales sont neutralisées : « la communion » est seulement invisible, l’Esprit « anime » sans plus, des femmes et des hommes. D’autres sont généralisées dans l’abstraction : « qui témoigne de l’Evangile… rend visible l’amour de Dieu envers chaque être humain », les « chaînes de l’injustice », les Ecritures ne sont pas une référence en elles-mêmes mais par le témoignage qu’elles rendent. C’est probablement la gloire de Dieu qui est évoquée dans l’expression : « une vérité que l’église ne possède pas ». D’autres contenus sont amoindris : la justification est mentionnée sans teneur, la sanctification est sous-entendue avec les expressions « engage », « appelés à vivre » qui ne sont pas autrement précisées. L’autorité souveraine des Ecritures déclarée en 1938 est sapée et devient « le témoignage décisif des écritures » avec une restriction de taille : en tant qu’il est écouté par l’EPUdF. Le vocabulaire de la liberté se substitue à celui de la responsabilité au lieu de le fonder et de l’équilibrer. Beaucoup d’aspects fondamentaux de la vie relationnelle sont complètement inexistants : repentance, évangélisation, œcuménisme, prière, filiation, communion fraternelle,…
Ce texte nous propose une formulation philosophique et spiritualiste de la foi avec une mystique moderne de la parole désincarnée qui n’est pas sans rappeler celles que l’église a connu avec de nombreuses variantes sous le nom générique de gnose chrétienne. C’est une démarche tout à fait respectable. Cette proposition est remplie de belles formules et de bonnes intentions, mais elle me semble totalement extérieure au génie du protestantisme historique fait d’ancrage rigoureux dans la Bible, d’études méthodiques au risque de l’austérité, de respect de la matière même vulgaire, d’insertion active – parfois trop, dans l’histoire mouvante, de pratiques sociales innovantes même si elles peuvent être contestables, de piétés et d’engagements multiformes.
Cette proposition de base n’est pas simplement perfectible, elle est aussi une vision intellectuellement cohérente : notre église n’a dans ce texte aucun contexte, aucun partenaire ni en France, ni à l’étranger. Elle est une église centrée sur elle-même qui vit dans un pays lisse et dans un monde sans problèmes humains spirituels ou sociaux identifiés, sans vocation ni mission, fascinée par l’abstraction religieuse. Ce qui me trouble n’est pas que ce texte soit écrit et diffusé, mais que nous soyons tous appelés à prendre position à partir de ses présupposés.
A de nombreux égards, cette proposition donne à voir, dans tous les sens de cette expression, la possibilité d’une sortie de l’histoire de notre église.
Pasteur Pascal Geoffroy, EPUdF Reims