Dans les deux premières parties de cette contribution au débat du synode national EPUdF sur l’Église et les ministères, nous avons d’abord exploré des évolutions de notre société qui ont une influence sur nos Églises, puis rappelé la mission de l’Église. Je vous propose dans cette dernière partie d’explorer avec vous quelques pistes d’évolution potentielles.
Des pistes d’évolution
S’attendre au réveil
Pour faire évoluer l’Église, il nous faut en premier lieu nous attendre individuellement et collectivement à une forme de conversion. Examinons nous en vérité et demandons pardon pour notre péché, nous pourrons alors nous attendre à un réveil. Un réveil suscité par le Saint Esprit qui vient nous bousculer et nous mettre en marche pour le service du Seigneur. Nous devons prier personnellement et en Église pour accueillir cette transformation et l’attendre avec un sentiment d’urgence et de responsabilité personnelle. Si nous demandons, préparons et recevons ce réveil, le Seigneur l’accompagnera des ministères indispensables à sa mise en œuvre.
Retrouver et assumer la radicalité de l’Évangile
Nous nous étions habitués au fil des siècles à vivre en chrétiens dans un monde christianisé. Nous avons certes dû gérer la sécularisation de la société et nous avons approuvé en tant que Protestants la laïcité à la française. Mais nous devons faire face maintenant à un monde dans lequel le message chrétien est marginalisé, souvent critiqué, parfois condamné. La tentation est grande d’arrondir les angles, d’ajuster non seulement la forme mais également le fond du message chrétien pour n’en conserver que ce qui est compatible avec la pensée majoritaire (ou la pensée minoritaire dominante comme le montre les débats autour du « woke »). Et pourtant oui l’Évangile est choquant pour le monde, ce n’est pas un message consensuel. Mais si nous refusons de l’assumer dans ce qu’il a de décalé ou de dérangeant pour notre société, nous manquons à notre responsabilité de fidélité au Christ. Au contraire je suis convaincu que notre monde a besoin d’entendre cette voix discordante qui parle de Dieu, de Sa sainteté, de Son amour pour nous, de Sa volonté de nous ramener à lui, de Son exigence vis-à-vis de nous … Sans un tel message l’Évangile est tronqué et perd sa capacité à nous transformer.
Une Église de disciples
L’Église n’est pas, ne doit pas être l’affaire des « professionnels » salariés. Depuis la Réforme, les Églises protestantes revendiquent et développent le sacerdoce universel. C’est en partie à travers lui qu’elles ont pu se développer. Il faut retrouver une plus grande place des « laïcs » dans nos paroisses. Cela passe par la prise en compte des capacités limitées d’engagement de celles et ceux qui sont prêts à s’engager et donc un élargissement du nombre des membres exerçant un ministère. Il faut reconnaitre, développer, former, encourager, valoriser … de nouveaux types de ministères spécialisés en acceptant des engagements très limités en périmètre et en durée.
Ces « nouveaux » ministères couvrent un champ très diversifié, depuis ceux qui nous sont familiers : catéchète, jeunesse, animation biblique, accueil, communication … vers ceux qui émergent: louange, accompagnement spirituel, animation de groupe de maison, animation multimedia, … Il est important de leur donner un statut « officiel » et de les traiter comme des ministères à part entière en particulier en les discernant, en les reconnaissant et les accompagnant avec la même attention que celle donnée au ministère pastoral et ce aux différent niveaux de la vie de l’Église.
Réallouer les responsabilités et les ressources
Il faut également redéployer les ministères aux différents niveaux de notre Église, paroisse, consistoire, région, nation. L’émergence des nouvelles technologies et leur diffusion générale dans la société et dans nos Églises nous permettent d’envisager une nouvelle répartition des rôles, missions et activités.
En capitalisant sur ces technologies, il est possible de mutualiser en numérique et à distance ce qui a de la valeur à l’être et conserver en présentiel et dans les paroisses les activités qui bénéficient réellement de cette interaction. Il faut repenser nos activités en mixant par construction et non pas par accident les deux dimensions. L’utilisation pertinente de ce double mode permettra de libérer des ressources dans les paroisses pour les ré affecter à des activités nouvelles.
Une nouvelle approche de la formation
Dans ce contexte, la formation des ministères doit être repensée. Actuellement elle est centrée sur le ministère pastoral et construite autour d’un cursus universitaire long essentiellement pour des ministères de pasteurs de paroisse. Elle doit être repensée y compris pour servir cet objectif en prenant en compte :
• Les vocations en milieu de vie.
Il faut repenser une formation accélérée et ciblée pour des hommes et des femmes de 45 ans et plus, qui ont déjà suivi un parcours universitaire, professionnel et humain. Il leur reste environ 20 ans pour exercer leur ministère, on peut s’interroger sur l’utilisation de 25% de ce temps à de la formation initiale avec parfois un résultat négatif sans porte de sortie valorisante anticipée.
• Le renforcement de la formation pratique.
On ne répond pas aux enjeux d’une paroisse rurale de la même façon que pour une paroisse de grande ville. De même, une Église en déclin numérique n’a pas les mêmes besoins qu’une autre en situation de croissance et d’essaimage. Une communauté dont la vision est tournée vers la présence sociale dans la ville requière d’autres compétence qu’une autre centrée sur la piété individuelle. On n’anime pas un culte Zoom de la même façon qu’un culte en paroisse. On pourrait multiplier les exemples.
En résumé, ce type de spécialisation doit être encouragé et reconnu, elle ne peut pas être uniquement le résultat d’une démarche personnelle. Elle doit être prise en compte dans la stratégie de formation de l’Église et venir anticiper et accompagner les besoins des paroisses.
• Une formation Permanente
Nous vivons dans un monde en évolution rapide, où nos contemporains sont amenés à changer plusieurs fois de métiers pendant leur carrière professionnelle. Ce type de changement impacte également les ministres pendant leur service. En phase avec les spécialisations et les parcours de ministères individuels, il faut mettre en place une réelle formation permanente qui doit s’inscrire dans le temps long et qui permette d’équiper les ministres à la fois à de nouveaux besoins dans leur ministère et également aux évolutions liées à leur changement de ministère. Ces formations doivent déboucher sur une forme de reconnaissance des savoir-faire et savoir-être qu’elles apportent.
• Des cursus de formations « certifiants » pour les autres ministères.
En lien avec la recherche et la valorisation des nouveaux ministères, il faut mettre en place des cursus de formation spécifiques pour équiper solidement les candidats. L’exigence et la qualité de ses formations participent à la motivation des candidats et à la reconnaissance de leur valeur pour l’Église.
• Des formations en réseau, basées sur la délégation, fortement décentralisées et utilisant les nouvelles technologies
La richesse de ces formations n’est possible que via une très forte mutualisation des compétences, des moyens et des ressources. Mutualisation aux différents niveaux de vie de l’Église voire au-delà avec des Églises et/ou mouvements associés. Si la mise en place d’un schéma directeur de la formation est indispensable pour assurer la cohérence et la qualité des programmes et des cursus, il est impératif pour pouvoir agir à la bonne échelle de mettre en place des mécanismes de délégations des actions de formations. Les besoins et les ressources étant largement distribués sur le territoire, le mode de mise en œuvre de ses formations peut être largement décentralisé, quitte à prévoir des espaces et des temps de centralisation. Ce fonctionnement est rendu possible grâce à la démocratisation des outils d’étude, de partage et de collaboration mis à disposition via les nouvelles technologie.
Organiser la consommation et gérer le zapping
Que nous le déplorions ou nous en réjouissions, nous faisons face à une demande de consommation de religieux. Un nombre grandissant de contemporains choisissent les activités d’Églises auxquelles ils participeront dans un catalogue de service disponible via internet. Ils n’hésitent pas à passer d’un site à un autre, d’un culte youtube à un autre, d’un blog de discussion chrétien à celui d’un philosophe … Nous pouvons choisir de subir ce phénomène ou essayer de nous en servir pour amener progressivement ceux qui sont au portes de l’Église à y entrer. Cela nécessite de mettre en place des modes de communication et d’interaction nouveaux avec des formats, un vocabulaire, un mode d’interaction différent. Dans cette démarche encore, la mutualisation et la délégation devront trouver leur place.
Nous devons également gérer le phénomène de zapping et les difficultés de concentration de beaucoup de nos contemporains. Nous sommes passés de la civilisation de l’écrit à celle de l’image; de la télévision à Netflix. La dissertation est en train de disparaitre de l’enseignement. Nous sommes habitués à des prédications longues, riches, complexes… qui demandent un véritable effort de concentration pour être suivie et comprise. Il faut certes continuer à offrir cette richesse mais à côté d’un autre type de prédication plus ramassée, appuyée par des support visuels, entrecoupées de pause de respiration.
Pour maintenir la richesse de la pensée dans le temps long il faut recourir à l’artifice d’une pensée à « épisodes » qui se déroulera sur plusieurs séances, avec rappel des épisodes précédents et « teaser » du prochain.
Faciliter la mobilité et les échanges
La confrontation des pratiques et l’échange bienveillant sont source de richesse. Nous ne pouvons plus nous contenter de vivre dimanche après dimanche les mêmes cultes avec les mêmes frères et sœurs. Certes cette intimité à de la valeur, mais elle sera renouvelée et augmentée par le vent du changement. Prenons le risque d’organiser des échanges de prédicateurs, de responsables de louange, de catéchètes… Envoyons des délégations de paroissiens en visites dans d’autres Églises. Nourrissons nous des expériences faites dans d’autres communautés.
Revisiter la mission et mettre l’accent sur la mission intérieure
Nous avons une pratique missionnaire encore trop largement marquée par l’histoire. Quelle peut vraiment être notre action missionnaire auprès d’Églises qui ont parfois autant sinon plus de membres que la nôtre. S’il s’agît de diaconie, sous réserve d’être bien administrée et d’éviter les pièges locaux, pourquoi pas? S’il s’agît de formation, là encore sous réserve qu’elle corresponde aux besoins réels de ces Églises amies, très bien! Mais l’enjeu prioritaire de la mission est en réalité devenu celui de la mission intérieure. La France est depuis longtemps devenue terre de mission: tirons en les conséquences et réallouons une partie de nos ressources missionnaires pour traiter nos besoins qui sont devenus critiques.
En conclusion
Nos Églises ne sont pas du monde mais elles sont dans le monde. Elles sont soumises aux influences de toutes natures qui s’exercent sur la société et doivent les prendre en compte pour s’y adapter afin que le message de l’Évangile soit proclamé et entendu par les hommes et les femmes de notre temps. Cette adaptation ne doit pas craindre d’utiliser les moyens que le progrès met à sa disposition sans se laisser piéger par eux. Elle doit se faire toutefois en préservant la fidélité au message du Christ y compris dans ce qu’il a de dérangeant pour un monde déchristianisé. Mais ne nous trompons pas, le réveil de nos Églises ne viendra pas de la mise en œuvre des meilleures techniques mais de l’action du Saint Esprit en réponse à nos prières. Il passera par une mobilisation de tous les frères et sœurs dans une levée en masse du sacerdoce universel où chacun trouvera sa place. Cette mobilisation doit être accompagnée, coordonnée et organisée en particulier dans le cadre de la formation et de la répartition des responsabilités et des actions entres les différents niveaux de l’Église.
Que Dieu nous soit en aide.
René Lo Negro
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